DIAL D 2055 du 1-15 mars 1996
Mots-clés : Indiens, conditions de vie, pauvreté, santé, marginalisation, discrimination, spoliation, démographie.
LA SITUATION DES PEUPLES INDIGÈNES D'AMÉRIQUE CENTRALE

La Commission pour les droits de l’homme en Amérique centrale a publié à la fin de 1995 son rapport concernant la situation des peuples indigènes dans cette région du monde. Texte paru dans BRECHA/Codehuca, novembre-décembre 1995 ( publication de la Commission, San José, Costa Rica).

En Amérique centrale, la structure de redistribution des richesses, reconnue ancestralement comme injuste, mais devenue plus injuste encore aujourd’hui du fait de la crise économique et de l’application de sévères politiques d’orientation néolibérale, entraîne comme conséquence que deux tiers de la population de la région doivent se débattre entre pauvreté et misère. Ils sont ainsi plus de 20 millions, dont une immense majorité sont indigènes, les plus pauvres d’entre les pauvres, les plus exclus d’entre les exclus.
De plus, ils ne souffrent pas seulement du fléau de l’exclusion économique et de la discrimination sociale. La liste de leurs droits bafoués en tous points de la carte de l’isthme, est interminable.
Abus d’autorité de la part de la force publique ; incendies d’habitations ; mauvais traitements physiques et psychologiques, avortements provoqués, destructions de cultures, usage de produits chimiques de haute toxicité, expulsions forcées de la terre, intimidations et menaces de mort, ne sont que quelques-uns des problèmes dénoncés par les communautés indigènes Ngöbe-Buglé de Panama.
Préoccupés par les violations systématiques, Marcelino Montezuma et Marina Acosta, président et secrétaire générale de l’ethnie, ont présenté les conclusions générales du Congrès Ngöbe-Buglé, qui s’est tenu au premier trimestre de 1995.
Malheureusement, il semble qu’avec seulement quelques variantes, ces problèmes dépassent les frontières panaméennes et constituent le commun dénominateur de toutes les communautés indigènes d’Amérique centrale.

Panama
Selon le recensement de 1993, la population indigène de Panama s’élève à plus de 220 000 personnes, qui sont regroupées de la manière suivante : Kuna, Embera et Waunan, Ngöbe-Buglé, Bokotas et Teribes. Les Ngöbe-Buglé représentent le groupe le plus nombreux, avec une population de 123 000 personnes.
Parmi les problèmes les plus graves qu’ont à affronter les indigènes panaméens, il y a les contrats de concessions minières nationales et étrangères, recouvrant la presque totalité du territoire des contrées Ngöbe-Buglé, sans qu’on n’ait jamais demandé l’avis des indigènes ; c’est pourquoi ces derniers demandent au gouvernement de Ernesto Pérez Balladares une législation qui statue sur les concessions de leurs contrées, où soient mentionnés leurs droits sur le patrimoine et les bénéfices obtenus à partir des ressources naturelles qui leur sont propres.
De plus, ils demandent que soit ratifiée la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) où, parmi les questions traitées, sont mentionnés les droits économiques, sociaux et culturels des peuples indigènes.
C’est un fait que le plan économique que développe actuellement le gouvernement panaméen, ne tient aucun compte des besoins des indigènes. Pourtant, selon le ministère de la santé, ces zones sont celles où on constate les cas les plus graves de dénutrition.
Malgré la constante protestation des peuples indigènes, le gouvernement persévère dans sa politique économique qui consiste à promouvoir des projets miniers, forestiers et touristiques, au mépris de l’opinion et de l’intérêt des Ngöbe-Buglé.
Il est clair que, tant qu’on n’aura pas résolu la question du droit des indigènes à voir leur territoire reconnu en bonne et due forme par la loi, les conflits avec le gouvernement ne pourront manquer de se produire.
A part les promesses faites au cours de la campagne électorale, par le parti gouvernemental comme par l’opposition, la situation des peuples indigènes panaméens “ne donne aucun signe d’amélioration”, nous a déclaré le Centre de formation sociale de Panama (CCS), ajoutant que la lutte pour les contrées indigènes continuait à constituer l’une des leurs aspirations les plus profondes.

Belize
Sur 200 000 habitants de Belize, 22 000, soit 11% de la population, sont indigènes d’origine maya et se trouvent en majorité au centre et au sud du pays. Là, à la différence des autres pays centraméricains où, bien souvent, on ne dépasse guère le plan de la théorie, il n’y a simplement pas du tout de politique gouvernementale visant à l’amélioration de la condition des indigènes. Leurs besoins et problèmes sont partagés par les autres populations, noire et latine, qui complètent la structure ethnique et culturelle de ce pays des Caraïbes centraméricaines.
Certaines organisations sont présentes, comme le Toledo Maya Council dont le siège est à Punta Gorda, au sud du pays où se trouve la majorité de la population maya. Cette organisation a pour objectif de préserver la culture et de promouvoir la production artisanale.
On reconnaît en général qu’il y a eu aggravation de la pauvreté, surtout au sud du pays où se trouvent les hameaux mayas, et dans la ville même de Belize. 22% de la population de Belize vit dans la pauvreté et 7% dans l’extrême pauvreté. Une étude de l’OIT note cependant que la pauvreté propre aux Garífunas1 et aux Mayas dépasse les pourcentages cités, avec 33 et 29% respectivement.
Les problèmes de communication qu’affrontent les indigènes de la zone méridionale du pays sont tout à fait sérieux, de même que le peu d’attention que leur accorde le gouvernement. Mais le peu d’organisation et de combativité des indigènes ne favorise pas l’amélioration de leur condition.

Honduras
Au Honduras, les populations indigènes et garífunas, qui ne dépassent pas les 90 000 personnes, se trouvent en situation d’extrême pauvreté. Elles affrontent de sérieux problèmes de caractère socio-économique et culturel, produits d’une réalité historique d’exclusion. De plus, elles ont à faire à la détérioration de leur milieu naturel, provoquée par le pillage et l’usage irrationnel de leurs ressources naturelles.
Comme on peut le voir, la réalité des peuples indigènes du Honduras ne diffère en rien de celle d’autres régions d’Amérique centrale. Par exemple, il a suffi d’une semaine, au milieu de l’année, pour que 8 enfants de la communauté Lenca de Monte Verde trouvent la mort par pneumonie aggravée de graves symptômes de dénutrition.
La situation est plus compliquée encore quand on entend le ministre de la santé, Enrique Samayoa, affirmer que 70% de la population du Honduras souffrent de dénutrition. Parmi les indigènes, le pourcentage est encore supérieur, dépassant les 80%.
Les problèmes de la terre se trouvent aggravés par le peu d’efficacité du système judiciaire du Honduras pour résoudre les problèmes en faveur des différentes ethnies et groupes garífunas face aux intérêts des transnationales ou des puissants du pays.
“Les peuples indigènes du Honduras constituent la fraction de population la plus vulnérable de la société et survivent dans un état de complète marginalisation, stagnation, pauvreté, insalubrité, absence de protection juridique et incompréhension de la part de la majorité de la population du pays”, assurait Eduardo Villanueva, procureur pour les ethnies et le patrimoine culturel.
Aussi devient-il urgent de disposer d’un instrument légal capable de développer les principes de la Convention 169 de l’OIT. Le problème des terres et des territoires est vital, non seulement comme base de l’économie, du système social, culturel et religieux des indigènes, mais aussi comme arme légale unique dont ils disposent pour lutter contre leur extermination.
Par ailleurs, en 1994, la Commission des droits de l’homme du Parlement centraméricain (PARLACEN) a recommandé au Président du Honduras, Carlos Roberto Reina, d’appliquer la Convention 169 de l’OIT, devant les dénonciations constantes faites par les populations indigènes au sujet des expropriations de terres.

Nicaragua
Au Nicaragua, la population indigène se concentre principalement sur la Côte Atlantique et représente un groupe d’environ 10 à 15 000 personnes, selon les données du Bureau de promotion humanitaire et de développement de la Côte Atlantique (OPHDESCA).
De même que les autres indigènes d’Amérique centrale, ces peuples ont été soumis durant des siècles à un processus d’appauvrissement, de ségrégation, de marginalité, d’oppression, d’exploitation et d’extermination.
Actuellement, les groupes survivants sont connus sous les noms de Miskitos et Sumos. La “Loi d’autonomie” du gouvernement sandiniste, datée du 7 septembre 1987, stipule qu’en tant que Nicaraguayens, les Sumos et les Miskitos jouissent de tous les droits et devoirs énoncés dans la constitution politique du pays. Malheureusement, leur situation réelle reste bien différente.
Dans ces communautés, les problèmes de santé sont alarmants. La dénutrition de la population, ainsi que la contamination des fleuves, sont à l’origine de la plupart des maladies dont diarrhées, bronchites, maladies respiratoires, tuberculose, ballonnements et démangeaisons de la peau, malaria, conjonctivite sont les plus fréquentes.
En ce qui concerne l’éducation, bien qu’ils disposent de quelque 6 écoles, les Sumos se plaignent du manque de textes bilingues, d’équipements et de mobiliers.

Guatemala
Il est aisé de parler du Guatemala, pays à 60% de population indigène ou d’origine indigène, pays où existe un conflit intérieur de caractère ethnico-politique, dû lui-même à des violations historiques de droits fondamentaux. Il est moins aisé d’en approfondir la problématique !
Étant donné la grave situation à laquelle se trouvent affrontés les indigènes du Guatemala, du fait de leur particularité, nous la traiterons dans un article lors de notre prochaine édition2.

Conclusions préliminaires
1. La population indigène est exploitée, subordonnée et mise à l’écart, du fait de sa condition ethnico-culturelle.
2. Les graves problèmes de santé auxquels sont confrontées les communautés sont le reflet du peu d’intérêt que leur portent les gouvernements et sont rendus évidents par la rareté des centres de santé et par le haut degré de dénutrition qui existe en zones indigènes, entraînant à son tour un haut indice de mortalité infantile.
3. Les enfants de familles indigènes naissent avec de graves désavantages socio-économiques, qu’il leur sera par la suite difficile de surmonter.
4. En chacun de ces pays, à l’exception de Belize, les indigènes sont maintenus à l’échelon inférieur de la société.
5. Il existe une tendance à l’acculturation des peuples indigènes. 6. En tous ces pays, font défaut des instruments juridiques efficaces, aptes à garantir les droits des peuples indigènes.

1- “Le peuple garifuna est issu de la fusion des ethnies Karib et Arawak qui peuplaient l’île Saint Vincent dans les Petites Antilles et qui se sont mélangés aux Noirs ayant réussi à s’enfuir des vaisseaux négriers à partir de 1600.”, cf. DIAL D 1672 (NdT).
2 - DIAL publiera ce texte dès qu’il sera disponible (NdT).

Traduction DIAL. En cas de reproduction, mentionner la source DIAL.