Y a-t-il une crise au sein
de la théologie de la libération ? La théologie
de la libération ne serait-elle pas morte ? Lhonnêteté
oblige de dire que la réponse faite à ces questions dépend
très largement de la position que lon a à légard
de cette théologie et de ses enjeux : non, elle nest pas
morte affirment ses défenseurs ; elle a heureusement été
emportée avec la chute du marxisme, affirment ses détracteurs.
Ces deux réponses opposées, liées à des intérêts
qui ne le sont pas moins, montrent bien, en tout cas, que cette théologie
reste un enjeu très conflictuel.
On pourra lire ci-dessous le point de vue de personnes qui partagent la
conviction quil ne faut pas confondre changements en cours et disparition
pure et simple. Toutes soulignent les déplacements qui se sont opérés
depuis lapparition de cette théologie dont la date officielle
de naissance peut être fixée en 1968 à Medellín (Colombie)
avec la IIème Conférence générale de lépiscopat
latino-américain. Ci-dessous, chacun des auteurs sefforce denraciner
la vision quil a de cette théologie dans le paysage socio-économique
et ecclésial actuel de lAmérique latine. En plus de
la place centrale faite à loption pour les pauvres,
ils soulignent la prise en compte nouvelle dautres réalités
: les indigènes, les femmes, les exclus, la société
civile et même la famille. La tâche de la théologie de
la libération est dautant plus dactualité que
le néolibéralisme est plus envahissant que jamais : il impose
une révision des analyses autant quune résistance spirituelle.
Successivement, on pourra lire linterview de Pablo Richard, théologien
et bibliste chilien (publiée dans Sentir con la Iglesia, 15 avril
1996, San Salvador, El Salvador), celle de Frei Betto, dominicain brésilien
(publiée dans Noticias Aliadas, 30 mai 1996, Quito, Pérou),
un bref texte de Fernando Bermúdez et une interview de Leonardo Boff, professeur
déthique à lUniversité dÉtat
de Río de Janeiro (ces deux derniers textes étant parus dans Cencos
Iglesias, avril 1996, Mexico).
Pablo Richard : La place de la résistance spirituelle dans le combat actuel
Récemment, divers commentateurs ont déclaré que la théologie de la libération était désormais morte. êtes-vous daccord ?
Pablo Richard : Cest un thme qui revient trs fréquemment dans la presse de toute lAmérique latine. Je lai lu au Chili, au Brésil, partout. On fait une caricature : la théologie de la libération est marxiste, elle est violente, elle est donc morte. Je dirais que cette théologie est non seulement morte mais quelle na jamais existé.
Je pense que tout ceci est fort symptomatique : cest le signe de la peur qua toujours le systme à légard dune théologie critique qui parle de Dieu à partir des pauvres. Pour cela, on veut lenterrer, la détruire, la faire disparatre. Pour moi, cela est positif ; je veux dire que cette théologie anime toujours quantité de gens et que, pour cette raison, elle fait peur. Cest cette peur qui provoque cette déclaration prématurée de mort.
La théologie de la libération a-t-elle changé ?
Pablo Richard : Oui. Une nouvelle théologie de la libération est en train de voir le jour. Cest quil ne nous est pas possible, dans la situation actuelle, de faire la mme théologie de la libération que nous faisions dans les années 80, parce que le contexte économique, politique, social, ecclésial est trs différent. Je pense que lespérance ne passe plus par le pouvoir politique mais bien par la société civile. Il y a un déplacement considérable de la société politique vers la société civile. Cest le monde des nouveaux mouvements sociaux. Il y a une résurgence de la société civile et, en elle, il ne sagit pas de prendre le pouvoir mais de construire un nouveau pouvoir à partir den-bas, à la base.
Dans un tel contexte, la théologie de la libération est plus nécessaire que jamais. La force spirituelle est aujourdhui trs importante pour une raison très simple : nous sommes dans une économie de libre marché - ou, comme le dit Pedro Casaldáliga, une dictature macro-économique internationale - et nous ne pouvons pas en sortir, mais nous ne participons pas à son esprit ; ou, comme le dit Jésus-Christ, nous sommes dans le monde mais nous ne sommes pas de ce monde. Nous sommes dans une économie de libre marché, mais nous ne sommes pas de cette économie. Notre esprit nous oriente vers une direction opposée et différente. En conséquence, la résistance culturelle, la résistance spirituelle deviennent plus nécessaires que jamais parce que là se trouve le principal champ de bataille.
Y a-t-il dautres nouveautés ?
Pablo Richard : Oui, dans les années 80, la théologie de la libération était représentée, disons-le ainsi, par les grands théologiens. Aujourdhui nous sommes passés à des milliers de petits théologiens de la libération. Pour chaque grand théologien de la libération, nous avons 2 000 à 3 000 nouveaux théologiens, une grande quantité de lacs, surtout une grande quantité de femmes, dindignes, de paysans qui créent la théologie de la libération. Ils nécrivent pas de livres, ne sont pas célbres, mais il y a un bouillonnement, disons-le ainsi, de nouveaux théologiens de la libération qui surgissent à la base.
De plus, y compris au niveau public, de nouveaux acteurs apparaissent, comme des femmes par exemple. Que de théologiennes, que de doctoresses en théologie avons-nous aujourdhui en Amérique latine ! Nous en avons beaucoup plus que nous nen avions dans les années 80. Nous avons aussi des indignes qui obtiennent des matrises, des doctorats et qui écrivent des livres. Cest dire quil y a désormais de nouveaux acteurs. Il ne sagit plus du type habituel de théologiens de la libération, blancs et prêtres.
Je voudrais souligner un autre foyer de la croissance accélérée et profonde de la théologie de la libération. Ce lieu, nous lappelons la lecture communautaire de la Bible - lecture faite à partir du peuple, à partir des pauvres, à partir des marginaux, à partir des femmes. Les pauvres relisent les textes bibliques avec une créativité extraordinaire. Ces relectures sont fidles à lesprit avec lequel la Bible fut écrite. Il ne sagit pas de manipulation. Cest tout le contraire. Il sagit de nous regarder dans le miroir de la Bible, de nous reconnatre dans cette tradition et de découvrir cette révélation de Dieu, à la lumire de la Bible, dans la situation actuelle. Cest la théologie de la libération. Elle nest certainement pas la mme que dans les années 80, mais elle sélabore aussi en fidélité à une tradition ecclésiale qui remonte évidemment à Vatican II et à Medellín.
Frei Betto : LÉglise changera si nous changeons la société
Quelle est la situation de la théologie de la libération ?
Frei Betto : Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, la théologie de la libération a traversé une crise. Non pas parce quelle se serait fondée principalement sur le marxisme. Ceci nest pas vrai, et je ne le dis pas parce que je serais antimarxiste, mais parce que les vraies racines de la théologie de la libération se trouvent dans lexistence massive des pauvres.
Au coeur de notre préoccupation pour les pauvres, nous théologiens de la libération, nous avons rencontré le marxisme et les marxistes qui nous aident à mieux comprendre pourquoi il y a tant de pauvres.
Alors, ces quelques militants de gauche qui avaient en 1989 des contacts avec les secteurs populaires, souffrirent trs peu de la chute (du régime communiste). Mais ceux qui navaient pas de contacts avec les pauvres, qui considéraient le marxisme comme une sorte didéologie dogmatique, comme une référence théorique, ont effectivement vécu une crise trs forte et beaucoup dentre eux ont changé de cap en se précipitant vers le néolibéralisme avec pour excuse quils sont désormais sociaux-démocrates.
Au Brésil, cest évident. Le président Fernando Henrique Cardoso est le grand parapluie sous lequel vient sabriter une gauche académique, théorique, qui déclare à présent quil ny a pas de place pour le socialisme dans lavenir, et quil ny a mme pas lieu davoir une prise de position éthique pour combattre la croissance explosive de la misère dans le pays.
Un autre facteur qui touche la théologie de la libération, ce sont les pressions du Vatican. Il ne sagit pas dune théologie en marge de lÉglise catholique, mais bien à lintérieur delle, et nous nous efforçons sans cesse de continuer sur cette voie.
Il y a des différends entre la théologie de la libération dune part, le pape Jean-Paul II et Rome dautre part, mais nous navons jamais été intéressés par la rupture avec lÉglise catholique. Curieusement, au cours de ce sicle, 90 % des ruptures qui se sont produites lont été en raison du chemin suivi par des secteurs de droite et jamais par la gauche. Une telle rupture ne nous a jamais intéressés car notre objectif fondamental nest pas de changer lÉglise mais de changer la société. Nous croyons que lÉglise changera dans la mesure o nous changerons la société.
Nos différends à lintérieur de lÉglise sont secondaires. Nous sommes fondamentalement préoccupés de réunir ceux qui cherchent à transformer une société injuste, la pauvreté, la misre, les structures doppression.
Dun autre cté, la théologie de la libération est en train de revoir ses paradigmes, non pour les abandonner mais pour leur donner une nouvelle ampleur.
Le féminisme en est un exemple. Il y a tout un courant féministe dans la théologie de la libération, une lecture de la Bible du point de vue des femmes. Un second thme est celui de lécologie. Nous pensons quil ne suffit pas de parler des droits de la personne, des droits sociaux, des droits culturels, il faut aussi parler des droits cosmiques. Lécologie est un point quil est important de mettre en avant dans notre lutte.
Quimpliquent pour lÉglise la théologie noire et la théologie indigne ?
Frei Betto : Les théologies afro-brésiliennes et indignes acquirent chaque jour plus de force. Le syncrétisme a une force considérable pour les Noirs et a en quelque sorte une influence sur toute la population. Beaucoup de gens ne le croient pas, mais le Brésil est le second pays pour la population noire de la plante après le Nigeria ; il y a plus de Noirs au Brésil quaux États-Unis dAmérique.
Il y a 50 millions dAfro-brésiliens qui ont eu une influence importante sur la culture et la religion. Le syncrétisme dans lÉglise na pas au Brésil une signification péjorative pour deux raisons : parce que cest un élément de la réalité et parce que personne ne connat de croyant qui nait pas une foi syncrétiste. Il nest pas jusquau pape Jean-Paul II qui ne soit syncrétiste dans sa foi en adhérant à la propriété privée et à lidée que le capitalisme est meilleur que le socialisme. Il mle donc son idéologie à sa foi en Jésus-Christ.
Il ny a pas de foi chimiquement pure ; toute foi a une composante syncrétiste. On peut parler de linfluence juive dans le christianisme des premiers sicles, ensuite de linfluence de Rome, qui continue toujours, et certains parlent aujourdhui dun christianisme influencé par lAmérique latine, qui est un christianisme noir, indigne, populaire. Le phénomne de lincarnation du christianisme est trs fort au Brésil (...)
Leonardo Boff : DÉFIS ACTUELS, NOUVEAUX CHANTIERS
Quels sont, à ton avis, les défis actuels pour la théologie de la libération ?
Leonardo Boff : La théologie de la libération continue dtre une théologie prophétique qui dénonce les injustices et la misre ; elle continue dtre une théologie pastorale qui chemine comme un pasteur en union avec les pauvres. Elle entend tre une théologie engagée à partir des pauvres opprimés et aider aux changements nécessaires de la société ainsi que des Églises. Telle est sa réalité fondamentale.
Lexclusion
Dans les années 90 sont apparues trois grandes questions qui provoquent la théologie de la libération : la premire est celle de lexclusion. Lexclusion a toujours existé sur le continent : indignes, Noirs, pauvres, mais ce nétait pas un phénomène aussi massif. La marginalisation était là avec les exploités, les marginaux. De façon systématique, la nouvelle forme daccumulation du capital et lexistence dun marché globalisé ne marginalisent pas seulement mais excluent. Cela signifie que les États ne font plus dinvestissements sociaux, ne prennent plus en compte des millions de personnes à lintérieur de la société, à lintérieur de ce processus... La théologie de la libération doit penser la gravité de la pauvreté, radicaliser son option pour ceux qui sont en marge mais qui ont le désir et lespérance de se développer, de ceux qui, étant exclus, sont confrontés à la mort, à la faim. Il y a toute une réflexion de la théologie de la libération : on y traite du thme de la vie, du droit de vivre et non pas seulement de recevoir; on réfléchit pour voir comment sorganiser au minimum pour avoir la nourriture, la santé, la terre. Il sagit également de voir comment ces exclus peuvent devenir citoyens et participer, et ainsi intégrer la société non à la marge mais comme citoyens actifs.
Lexpérience du sacré
Le second thme, qui est trs important, je dirais que cest celui du mysticisme, du retour de lexpérience du sacré de la religion dans lensemble des cultures du monde, et cela pose une grande question. Dun cté, cest une bonne chose que ce retour car il révle la dimension profonde de lêtre humain qui na pas seulement faim de pain mais faim de transcendance et de communication, faim de Dieu. Cette faim signifie que ltre humain est fatigué de la culture matérialiste de la seule production. Il veut la gratuité, la célébration, la grâce, une voie spirituelle qui soit un don de Dieu dans sa meilleure signification. Ici, on trouve deux points qui aident la théologie de la libération à réfléchir : lun, le retour du religieux, qui ne se produit pas habituellement à travers les grandes institutions religieuses et ce retour appelle un autre discours, un autre point de vue, une autre pratique, une autre façon de célébrer, une autre subjectivité qui adresse aux églises historiques une demande historique pour quelles soient plus ouvertes, moins fossilisées dans leur vision du monde, leur langage moins éthéré, pour que leur rites soient plus complets au sens o ils incluraient le corps humain ainsi que ces religions et ce sens du sacré qui est récupéré par les sectes, ce qui explique quun grand nombre de gens sen vont. Dun autre cté, il y a aussi une manipulation de ce sacré dans le cadre du marché pour faire de largent, y compris pour manipuler les personnes, pour les empcher de prendre conscience de la condition défavorisée dans laquelle elles vivent et sadonner à une pastorale du miracle, moyennant un arbre qui guérit, moyennant des signes et des promesses de trouver un emploi. Ainsi, à un problme qui est social et politique - la faim, le chômage - on donne une solution mystique qui est une mystification. Le défi est de savoir comment, à partir de cette expérience, on peut accumuler force et énergie, sans prophétismes divers et avec organisation, pour aider à mobiliser les personnes afin quelles puissent dépasser les situations de misre et doppression.
Lécologie
Le troisime grand défi des années 90 est la question de lécologie. Les pauvres demandent à la théologie de la libération de les aider à organiser leur vie grâce à la pastorale et à la réflexion, mais la terre crie quelle est épuisée, agressée systématiquement de façon dangereuse. A partir de ce moment, elle est un grand pauvre ; la théologie de la libération doit inclure dans son option contre la pauvreté et pour la vie, la terre comme le grand pauvre qui, uni aux pauvres, est avec eux dominée et systématiquement exploitée. Et la terre est fondamentale parce que sans elle, sans la biosphère, aucun autre projet ne peut tre assuré. Lécologie centre les questions différemment. La grande question nest pas de savoir quel sera lavenir de lÉglise, mais quel sera celui de lhumanité et dans quelle mesure lÉglise peut aider et garantir cet avenir. A lintérieur de loption pour les pauvres, il faut penser la terre comme un grand pauvre ; il faut le penser à lintérieur de la libération : libérer la terre pour quelle ne souffre pas, pour quelle soit la grande Pachamama ou la grande Mre qui nous nourrit tous. Elle est notre corps élargi. Il faut aussi, théoriquement, faire à partir de la terre une expérience plus complte de Dieu, une expérience plus cosmique du Christ qui est dans la matire, de lesprit qui conduit lunivers. De la façon dont nous saisissons la terre, nous saisissons Dieu, et il sagit davoir à partir de là une théologie de la libération et une spiritualité. Et je pense que nous pouvons avoir une théologie de la libération plus intégrale si nous incluons toutes ces dimensions, le pauvre, tous les hommes car tous sont menacés comme la terre et avec elle. Et ceci permet que la théologie de la libération soutienne une spiritualité qui inclut aussi les personnes dans cette dimension de sauvegarde de la nature, de la terre, de lavenir, afin que nous puissions tous vivre ensemble avec la terre en la considérant comme notre mère.
Dans ces défis, qui sont autant de tâches pour la théologie de la libération, quel serait le rle des nouveaux sujets sociaux, pensons en premier lieu aux indignes, avec un de leurs grands apports qui est lamour de la terre mre, pensons à ce sujet social en train démerger, à savoir la femme, et à ce nouveau sujet que nous appelons la société civile, et peut-tre à dautres ? Quel serait le rle de ces sujets sociaux dans les tâches actuelles et les défis qui se présentent à la théologie de la libération ?
Leonardo Boff : Je crois que la théologie de la libération dans les années 70 sest beaucoup préoccupée du pauvre comme tre politique, mais elle a découvert que la pauvreté a dautres visages, un visage indigne qui est culturel, non occidental, avec une religion dun autre genre, une autre façon de sorganiser socialement. Un autre type de pauvre, cest aussi la femme, avec la suppression du patriarcat, la nécessité de voir le monde, la société, lÉglise et Dieu mme à partir de la perspective de la femme.
Et, dun autre cté, vis-à-vis de lexclusion, il faut renforcer la société civile pour quelle se défende, pour quelle soit plus incluante, pour quelle ait conscience de sa révolte. Je crois effectivement que ces trois sujets ont aidé la théologie de la libration à mieux discerner dans le dtail les oppressions, et en consquence à mieux concrtiser la libration.
Les indigènes
Je crois que devant les indignes, il faut avoir une position de disciples, couter la voix des indignes qui nont jamais ét couts, qui ont t rduits au silence. Comme le dit un texte maya : Les colonisateurs sont venus pour brler et dtruire notre fleur, pour planter leur fleur, celle des envahisseurs. Aujourdhui il faut dire que nous voulons la biodiversité, que nous aimons toutes leurs fleurs, et nous devons couter, voir et apprendre de leur grande sagesse ancestrale, de leur exprience de Dieu, de leur manire de travailler. La grande leçon que les indignes nous donnent est, je crois, la perspective de la sauvegarde de la terre, elle est de comprendre que la terre est un super organisme vivant, quelle nest pas un dpt de ressources naturelles dont nous pouvons tirer et retirer des tas de choses, mais quelle est la Grande Mre, la Grande Pachamama, quelle prolonge notre corps, et que travailler cest aider la Pachamama à produire ce dont nous avons besoin. Il faut couter, il faut reconnatre la dignit et la grandeur de leur religion, qui les a aids à maintenir leur identit et à rencontrer le mystre de Dieu. Nous devons même nous laisser évangliser par eux, parce quils ont t plus communautaires, plus collectifs, plus spirituels que nous dans notre propre monde.
Les femmes
En ce qui concerne les femmes, jaurais beaucoup à dire. Je considre quil faut que les femmes occupent leur place, quelles nattendent pas que lÉglise, les vques ou nous-mmes les hommes leur donnions lautorisation de la prendre. Une telle relation ne serait pas la bonne. Les femmes doivent crer leur propre espace, loccuper, assumer leur rle et retrouver la parole, sen servir et nous enrichir de leur vision du monde et du corps, de Dieu, du Christ. Il est ncessaire de voir la ralité à partir du fminin, mais aussi à partir du lieu mme de la femme. Ce nest que de cette façon que lexprience de Dieu sera complète parce que elles-mmes, comme images de Dieu, elles nous indiqueront les traits maternels de Dieu, que nous ne connatrions pas autrement.
Il me paraît trs important de dvelopper lpistmologie fminine, cest-à-dire la manire quont les femmes de voir le monde, la logique du fminin qui est la logique du soin que lon donne, de la tendresse, de la défense de la vie, qui est dtre davantage li au mystre des choses, à la sacralit. Les femmes sont porteuses du grand mystre. Cette logique compose avec lautre logique, celle qui est dans lhomme, qui est la plus rationnelle, la plus ample du monde. Les femmes sont les grands tmoins porteurs de cette logique de la vie ; nous, nous sommes davantage dans une logique de pouvoir. Il sagit de combiner les deux afin que ltre humain puisse être plus complet, plus rciproque, plus simple. Nous esprons que les femmes nous donneront ces leçons, que nous les recevrons, et je veux les aider afin que nous soyons ensemble en possession dun savoir plus articulé.
La société civile et la citoyenneté
La socit civile est fondamentale. Ce nest pas linclusion qui soppose à lexclusion, parce quon peut tre inclus et rester à la marge avec le marginal ; loppos de lexclusion est la citoyennet, et citoyennet signifie participation. Dans la mesure o les gens de la socité civile sorganisent en groupes pour la terre, le travail, lhabitat, les femmes, les indignes, les Noirs, les enfants, ou tout autre chose, ils participent, ils prennent conscience quil ne sont pas des masses anonymes ou des paroissiens des Églises, mais quils sont des citoyens dont la conscience revendique, demande à lÉtat de sacquitter de ce quil doit, car à lÉtat, on na pas à lui demander mais à exiger de lui quil accomplisse son devoir. Son rle est de faire des politiques publiques, de grer le bien commun. La socit civile fait pression sur lÉtat, sorganise et cre un phnomne nouveau qui nexistait pas, à savoir la concitoyennet.
Le concept de citoyennet est classique, il vient de la Révolution française et il dfinit plutôt la relation personne-individu-État, ce que sont les citoyens. Il faut ajouter une autre dimension : celle dun citoyen vis-à-vis dun autre citoyen, du citoyen qui sorganise avec un autre citoyen pour construire une maison, pour assurer la sant. Il va donc jusquà inclure lÉtat, qui aide à lautonomie des groupes de la socit civile pour garantir et raliser les droits ainsi que pour mettre des limites au nolibralisme et à lexclusion, créer la citoyennet et renforcer la socit civile.
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