La victoire de Lula au second tour des élections brésiliennes
le dimanche 27 octobre ne fait plus de doute, après qu’il
soit arrivé en tête au premier tour avec plus de 46 % des
voix. L’arrivée au pouvoir d’un homme de gauche, d’origine
très populaire, ancien syndicaliste ayant affronté des
situations difficiles au temps de la dictature, créateur du Parti
des travailleurs (PT) est un événement d’une grande
importance pour le Brésil, mais aussi pour beaucoup de pays d’Amérique
latine. Nous donnons ci-dessous un bref récit de quelques événements
de la vie de Lula. Texte de Frei Betto, paru dans ALAI-America-latina,
du 7/10/2002.
Luis Inácio Lula da Silva est originaire de Garanhuns (Pernanbouc)
où il naquit le 27 octobre 1945 selon ce qui est enregistré
sur son certificat de baptême. Selon ses frères aînés,
cette date aurait été celle de son baptême alors
que celle de sa naissance serait le 6 octobre. De fait, en ce mois d'octobre,
il aura un double cadeau : on votera pour qu’il devienne président
du Brésil le 6, et le 27 pour qu’il assume la présidence.
L'appellation " Lula " fut ajoutée à son nom
en 1982 pour des raisons électorales. Avant-dernier de 8 enfants
de Eurídice Ferreira de Melo, doña Lindú, et d'Arístides
Inácio da Silva, il a passé sa petite enfance sur les
8 hectares de terre où sa famille plantait des haricots, du maïs
et du manioc pour sa propre consommation.
Lorsque Lula eut 7 ans, en 1952, la mère et les enfants partirent
treize jours en camion depuis le Nordeste jusqu'à São
Paulo, se partageant une petite ration de farine, de fromage et de cassonade.
Ils allèrent à la rencontre du père qui travaillait
comme arrimeur dans le port de Santos. Élève du groupe
scolaire Marcílio Dias, où il fit ses études primaires,
Lula contribuait au maigre revenu familial en cirant des chaussures
et en vendant des oranges et du tapioca dans le port de Santos. En 1956,
la famille déménagea pour la capitale São Paulo.
Elle vivait dans Vila Carioca, dans une pièce cuisine à
l'arrière d'un bar. À l'âge de 12 ans il prit son
premier emploi, comme aide dans une teinturerie. Deux années
après, il rentra dans une entreprise de métallurgie et
obtint le diplôme de tourneur à Senai. Lula alla pour la
première fois au Syndicat des ouvriers de la métallurgie
de São Bernardo do Campo e Diadema en 1967, lorsqu'il travaillait
dans les industries Villares. En 1969, il fut élu suppléant
du directoire du syndicat et, en 1972, membre du directoire exécutif.
En 1975, il assumera pour la première fois la présidence
du syndicat, élu avec plus de 90 % des votes. Réélu
en 1978, il lança les campagnes sur les salaires, introduisant
la lutte pour un repositionnement des salaires et pour promouvoir de
grandes mobilisations de masse.
La grève de 1979
Février 1979. À Morumbi, Coríntians et Guarany
[deux équipes de football] jouèrent pour le chanpionnat
de São Paulo. Parmi les gens du peuple, Lula, Devanir Ribeiro,
Janjão et Alemão étaient suppoters. La campagne
pour les salaires des ouvriers de la métallurgie de São
Bernardo do Campo e Diadema commençait. Les revendications portaient
sur une augmentation de 34,1 % par rapport à l'indice officiel,
pour repositionner les salaires en fonction des pertes subies. En voyant
la foule dans le stade, Lula eut une idée : convoquer une assemblée
syndicale capable de remplir un stade de football. Le 13 mars 1979 :
80 000 ouvriers de la métallurgie en grève occupaient
la pelouse et les gradins du stade de Vila Euclides, à São
Bernardo do Campo. Sans micro, Lula prononça son discours, repris
par ceux qui l'entendaient, comme des ondes successives créées
sur l'eau par le jet d'une pierre. Deux jours après, alors que
170 000 travailleurs étaient déjà en grève
dans tout l'ABC [grande banlieue industrialisée de São
Paulo], la grève fut considérée illégale.
Dans la nuit du 22 mars au 23, tandis que les ouvriers de la métallurgie
veillaient dans le syndicat, à Brasilia le ministre du travail,
Murilo Macedo, discutait avec le gouverneur de São Paulo, Paulo
Maluf. Peu après, les troupes de la police militaire intervinrent
contre le syndicat.
La répression du mouvement fut implacable. Avec Vila Euclides
fermée, les travailleurs tinrent leurs assemblées dans
l'église Matriz de São Bernardo do Campo. Alors qu'il
discutait avec les patrons sur la trêve de quarante-cinq jours
dans le mouvement, Lula exigea et obtint la réouverture du stade.
Le 1er mai de cette année coïncida avec la période
de trêve. 150 000 travailleurs participèrent à la
manifestation dirigée par Lula dans Vila Euclides, lorsque Vinicius
de Moraes chanta « L’ouvrier en bâtiment » et
que se répandit la nouvelle que Sérgio Paranhos Fleury,
chef de l’Escadron de la mort, était mort de façon
étrange, noyé sur la côte de São Paulo. À
la fin de la trêve, le 13 mai, un accord raisonnable entre les
patrons et le syndicat fut signé, l’intervention suspendue
et la grève terminée. Cependant, bien que les revendications
salariales aient été réduites, le résultat
politique du mouvement conduit par Lula fut significatif. En mobilisant
tout son potentiel répressif, le gouvernement révéla
aux travailleurs son caractère dictatorial ; la tendance du pouvoir
public à se soumettre aux multinationales devint visible, ainsi
que celle du ministère du travail par rapport à la FIESP
(Fédération et centre des industries de l'État
de São Paulo) ; la loi sur la grève resta lettre morte
; le leadership de Lula et de ses compagnons du directoire gagnait en
représentativité, car, même après l’intervention
de l’État dans le syndicat, ils furent reconnus par le gouvernement
et les patrons comme les seuls interlocuteurs légitimes.
La grève de 41 jours
En 1980, Lula conduisit la grève historique de 41 jours. La campagne
pour les salaires des ouvriers de la métallurgie de São
Bernardo do Campo e Diadema comportait avant tout des revendications
concernant des garanties en matière de droit du travail, la réduction
de la durée du travail à 40 heures hebdomadaires, le contrôle
des chefs par les travailleurs et le droit pour les dirigeants syndicaux
d'entrer dans les entreprises à n'importe quel moment. Comme
les patrons se montraient intraitables dans les négociations,
la grève commença le 1er avril, quand 140 000 ouvriers
de la métallurgie se croisèrent les bras. La répression
du mouvement fut telle qu’on alla jusqu'à utiliser des hélicoptères
de l'armée qui, munis de mitrailleuses, survolaient les assemblées
de Vila Euclides. Lula persista en disant que les travailleurs ne se
laisseraient pas intimider. Alors qu'ils chantaient l'hymne national,
tous brandissaient des drapeaux du Brésil distribués par
le syndicat. Le 17 avril, le ministre du travail, Murilo Macedo, décida
la seconde intervention dans le syndicat présidé par Lula,
interdisant les dirigeants, mais sans obtenir qu'ils se séparent
de la direction du mouvement. Le 19, à 6 heures du matin, Lula
fut appréhendé dans sa maison par le DOPS (Département
d'ordre public et social), au cours d'une opération coordonnée
par le gouvernement de Paulo Maluf, et qui impliquait de la prison pour
de très nombreux dirigeants syndicaux dans tout l'ABC, y compris
des syndicalistes et des juristes de São Paulo. Le 1er mai, Lula
eut la joie de savoir, en prison, que 120 000 personnes s'étaient
réunies dans une manifestation à São Bernardo do
Campo. Quelques jours après, grâce à une permission
spéciale, il eut la tristesse d'assister, escorté, à
la messe de funérailles de sa mère. Pour faire pression
afin que les patrons reprennent les négociations, Lula et ses
compagnons de prison firent une grève de la faim pendant 6 jours.
Le 20 mai 1980, Lula obtint sa révocation de la prison préventive.
Libéré, la première chose qu'il fit en arrivant
à la maison fut de faire sortir les oiseaux de la cage... Jugé
par la justice militaire en novembre 1981, il eut une peine de six ans
et six mois de prison. Ultérieurement, le Tribunal supérieur
militaire annula le procès. La grève se terminal le 11
mai, et le résultat en fut un grand progrès politique
dans l'organisation et dans la conscience de classe des ouvriers de
la métallurgie de l'ABC.
Le Parti des travailleurs
La proposition de créer le Parti des travailleurs est apparue
le jour même de la naissance de Sandro, le fils de Lula : le 15
juillet 1978. Dans l'hôtel Bahía, à Salvador, où
il participait à un congrès des ouvriers du pétrole,
Lula déclara à la presse que l'heure était venue
pour la classe ouvrière de créer son propre parti politique.
Lula découvrit que la question syndicale est aussi une question
politique. Sur la scène politique nationale, tous les partis
prétendaient être la voix du peuple, alors que le peuple
lui-même ne savait pas comment faire entendre sa voix. En janvier
1980, plus de quatre-vingts députés se réunirent
à l'hôtel Pampas Palace, à São Bernardo do
Campo pour débattre du projet du PT. Ils n’ont pas voulu
faire partie de façon permanente d’un parti de classe, discipliné,
pratiquant la démocratie interne et doté d’un programme
clairement socialiste.
Lula parcourut le Brésil pour convaincre la classe ouvrière
qu'il était inutile d'attendre qu'un Congrès national,
rempli de patrons, fasse des lois favorables aux salariés. La
première réunion historique du Parti des travailleurs
eut lieu en janvier 1980, paradoxalement dans un ancien fief de la bourgeoisie
de São Paulo, le collège Sion. Des intellectuels comme
Antonio Candido, Mário Predosa et Sérgio Buarque de Hollanda
adhérèrent ultérieurement au projet du nouveau
parti. En 1982, le parti des travailleurs, qui réunissait déjà
400 000 militants dans tout le Brésil, promut Lula comme candidat
pour le poste de gouverneur de São Paulo. Malgré l'absence
de ressources pour mener la campagne et les préjugés de
classe de l'électorat, Lula obtint 1 200 000 voix. En 1986, il
fut élu à l'Assemblée nationale constituante avec
652 000 voix, le score le plus élevé obtenu par un député
fédéral dans cette élection. Sur les 572 «municipe»
de São Paulo, il eut des voix dans 568 d'entre eux, surtout dans
les régions industrielles. Dans l'Assemblée constituante,
son action en faveur des intérêts des travailleurs fut
considérée comme exemplaire par la presse spécialisée.
Président du parti, réélu depuis sa fondation en
1980, Lula abandonna ce poste en 1987, renforçant ainsi le principe
de rotation dans la direction du parti. Depuis lors, il devint président
honoraire du PT. Et il aida à fonder la CUT (Centrale unique
des travailleurs), la CMP (Centrale des mouvements populaires) et l'Institut
de la citoyenneté, dont il est président. Maintenant,
il se prépare à être président du Brésil,
et à accéder au poste le 1er janvier 2003.
Traduction Dial.
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