La réaction des pays dAmérique
latine à la guerre déclenchée par les États-Unis
en Irak est dautant plus intéressante que les populations
de ces pays ont eu beaucoup à souffrir des ingérences,
y compris militaires, de leur grand voisin du Nord. La sensibilité
reste vive face au côté impérial, voire impérialiste,
de la superpuissance nord-américaine. Ce qui semble plus nouveau,
cest que les États eux-mêmes sont de plus en plus
réticents face aux initiatives nord-américaines. Article
de Gustavo González, IPS, 18 mars.
Brésil, Chili, Cuba, Mexique, Pérou
et Venezuela se sont exprimés contre l'invasion de l'Irak sans
le consentement de l'ONU et l'Argentine a renouvelé sa décision
de ne participer en aucune manière aux opérations militaires.
Colombie, El Salvador, Honduras, Nicaragua et Panama, en revanche, ont
pris position ce mardi 18 mars en faveur de Washington. L'ultimatum
de 48 heures que le président des États-Unis a donné
dans la nuit du lundi 17 mars au président de l'Irak pour qu'il
abandonne le pouvoir et le pays avec ses fils, a ouvert la voie à
une escalade guerrière aux effets politiques et économiques
inévitables sur les nations latino-américaines et caraïbéennes.
Le Mexique et le Chili, les deux pays de la région qui font partie
du Conseil de sécurité de l'ONU ont regretté l'échec
des négociations pour un désarmement de l'Irak par des
voies diplomatiques et ont condamné la décision des États-Unis,
de la Grande-Bretagne et de l'Espagne de recourir à l'usage de
la force.
Le gouvernement du Brésil, avec à sa tête Luiz Inácio
Lula da Silva, a déclaré d'avance ce lundi son refus de
toute action contre l'Irak indépendamment de l'ONU, tandis que
le président de l'Argentine adhérait à la proposition
du président chilien de donner un délai de trois semaines
pour un désarmement vérifiable de l'Irak.
À Cuba, le journal officiel Granma a souligné l'ultimatum
de George W. Bush en accordant une large couverture aux préparatifs
militaires refusés par le gouvernement de Fidel Castro, tandis
qu'au Venezuela le ministre des affaires étrangères Roy
Chaderton a exprimé son opposition à un conflit armé,
surtout dans une région vitale pour le commerce du pétrole,
comme le Moyen-Orient.
Le gouvernement colombien dAlvaro Uribe a adhéré
par contre à la « Déclaration des Açores
» prélude à l'ultimatum de George W. Bush, issue
de la réunion du dimanche 16 mars dans cet archipel portugais,
entre le président des États-Unis et ses pairs de Grande-Bretagne,
Tony Blair, d'Espagne, José Maria Aznar, et du Portugal, José
Manuel Durao Barroso.
Les présidents Francisco Flores d'El Salvador, Ricardo Maduro
du Honduras, Enrique Bolaños du Nicaragua et Mireya Moscoso du
Panama ont également exprimé ce mardi dans une déclaration
conjointe leur soutien à George W. Bush. Ils ont déclaré
: « Le moment définitif pour que l'Irak désarme
est arrivé. »
La déclaration des quatre gouvernants a été émise
dans le cadre du Système d'intégration centraméricaine,
formé également du Belize, du Costa Rica et du Guatemala,
dont les gouvernements ne se sont pas encore prononcés sur l'ultimatum
adressé à Saddam Hussein [depuis la rédaction
de cet article, le Costa Rica a décidé de soutenir la
position des États-Unis, et le Guatemala a décidé
de ne pas la soutenir ].
Les dirigeants politiques, sociaux et religieux, ainsi que les analystes
ont souligné les positions du Mexique et du Chili, pour leur
défense du multilatéralisme dans le cadre du Conseil de
sécurité de l'ONU et leurs résistances aux pressions
des États-Unis qui ont essayé de les aligner sur une solution
de force.
« Nous partageons les objectifs, les valeurs et les propositions
des États-Unis, du Royaume-Uni et de l'Espagne. Néanmoins,
nous divergeons à cette occasion sur les temps et les procédures
» pour le désarmement de l'Irak, a déclaré
le président mexicain Vicente Fox dans un discours à ses
compatriotes deux heures après l'allocution de George W. Bush
à Washington. « Le Mexique réaffirme sa position
en faveur de la voie multilatérale pour la solution des conflits
et regrette le chemin de la guerre » a déclaré Fox.
Le monde, a-t-il ajouté, « doit continuer de rechercher
des solutions qui soient en accord avec la lettre et l'esprit de la
Charte des Nations unies ».
Ce mardi, le ministère chilien des affaires étrangères
a réitéré son refus d'une intervention militaire
et a exprimé « notre profonde déception en constatant
que les membres du Conseil de sécurité n'ont pas été
capables de trouver une réponse à cette crise dans le
cadre du multilatéralisme. »
« Nous devons comprendre que si nous en arrivons à cette
situation c'est parce que entre les quinze membres du Conseil de sécurité,
nous n'avons pas été capables de trouver une solution
et, pour autant, nous devons le regretter, sans nous condamner nous-mêmes
», a dit de son côté le président Lagos dans
un bref dialogue avec la presse.
L'ancienne candidate écologiste à la présidence
et coordinatrice actuelle de l'organisation « Chili soutenable
» Sara Larraín, a déclaré à IPS que
le Mexique et le Chili avaient assumé une position conséquente
« qui les a placés au même niveau que certains
pays européens comme la France et l'Allemagne qui font preuve
de la plus grande autonomie face aux États-Unis.» Elle
a ajouté : « Il y a un renforcement diplomatique latino-américain
dans la mesure où les positions du Chili et du Mexique ne sont
pas restées isolées mais ont inclus des consultations
régionales permanentes, surtout avec le Brésil. »
L'ancien ministre mexicain des affaires étrangères Jorge
Castañeda a souligné : « Cest une grande
chance pour l'Amérique latine que les deux sièges réservés
à la région au Conseil de sécurité aient
correspondu à des pays ayant des positions très claires
et très fermes, avec de grands chefs d'État à leur
tête ».
José Luis Piñeiro, professeur et chercheur de l'Université
autonome métropolitaine de Mexico a déclaré à
IPS : « Le Mexique et le Chili se sont plus ou moins bien sortis
du Conseil de sécurité étant donné qu'ils
n'ont pas eu à voter de résolution, mais ceci durera peu
car s'ils sont cohérents avec leurs positions et le discours
de la négociation et la paix, ils devront affronter dans le même
Conseil l'attitude unilatérale de Washington contre l'Irak.
»
Larraín a indiqué : « Nous nous voyons imposer
une superpuissance. George W. Bush a mis à terre soixante ans
d'efforts pour construire une société planétaire.
Ainsi il n'y a pas de gouvernabilité internationale possible
à l'avenir. Il y a un unilatéralisme (de Washington) qui
prétend gouverner l'ONU. »
Daniel Camacho, coordinateur de la Commission non gouvernementale pour
la défense des droits humains en Amérique centrale, a
déclaré à IPS que George W. Bush renforce l'unilatéralisme,
le mépris des normes juridiques mondiales, affaiblit le système
de l'ONU et exporte avec « arrogance » une vision particulière
du monde et de la démocratie.
La Commission nationale Justice et paix de la Conférence épiscopale
du Chili a fait connaître ce mardi son « refus catégorique
» de l'ultimatum de George W. Bush. Elle a indiqué : «
Cette mesure unilatérale affaiblit ce forum mondial (lONU)
qui, malgré ses défaillances évidentes, a été
une expression de progrès pour l'humanité. »
Pour Larraín, l'unilatéralisme est une constante de la
politique de George W. Bush, qui passe à présent dans
le domaine politique et celui de la sécurité. Il s'était
déjà manifesté par le refus d'engagements multilatéraux
dans le domaine de l'environnement comme pour le Protocole de Kyoto,
la Convention sur le changement climatique et la Convention sur la biodiversité.
Le gouvernement des États-Unis ignore également le multilatéralisme
dans la défense des droits humains avec son boycott de la Cour
pénale internationale.
Coral Pey, coordinatrice de la filiale au Chili de l'Alliance pour le
commerce juste et responsable, a indiqué à IPS que George
W. Bush a donné comme priorité à son programme
le thème de la sécurité, avec une vision militaire
qui lemporte sur tous les autres aspects, y compris laspect
commercial. Cela ne signifie pas que Washington ne s'intéresse
pas à la construction de la Zone de libre-échange des
Amériques (ZLÉA), mais qu'il lui imprimera une marque
plus hégémonique en matière de libéralisme,
l'éloignant définitivement des objectifs de développement
qui furent établis en 1991 avec l'Initiative pour les Amériques.
La militante a averti qu'il est très improbable que les États-Unis
prennent des mesures de représailles contre le Chili, comme de
supprimer le traité bilatéral de libre-échange
que les deux pays ont achevé de négocier en décembre
2002, car cela affecterait leur crédibilité dans la région
pour la négociation de la ZLÉA.
Larraín signale que le refus de l'unilatéralisme de George
W. Bush et le renforcement diplomatique de l'Amérique latine
doivent donner lieu à une nouvelle dimension des négociations
de la ZLÉA, à savoir quelles devraient sopérer
sur un plus grand pied d'égalité, qui inclut une réactivation
du Mercosur.
Par ailleurs, l'alignement de l'Espagne sur les États-Unis dans
la crise irakienne n'aura pas de grand impact sur ce quon appelle
la communauté ibéro-américaine, selon le jugement
de Larraín. Celle-ci n'existe pas « comme une construction
à partir de la base en termes culturels, politiques et économiques,
mais elle se structure autour des grands investissements espagnols en
Amérique latine », a-t-il conclu.
Traduction DIAL.
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