Devant plusieurs milliers de personnes,
au cours du Forum social mondial tenu à Porto Alegre au début
de cette année, le P. Gustavo Gutiérrez a donné
un témoignage sur le contexte historique et loeuvre accomplie
au sein du courant de la théologie de la libération, dont
il fut le pionnier. Il en indique les coordonnées majeures, toujours
soucieux de limpact actuel dune réflexion dont les
pauvres sont laxe central.
En premier lieu, salut à tant de vieux amis et
aussi aux nouveaux de ces jours-ci et à toute la réserve
damis que je ne connais pas encore.Je voudrais dire en premier
lieu quun témoignage nest pas quelque chose de purement
personnel ou individuel. En tout cas, les choses les plus intenses que
jai vécues, je les ai toujours vécues avec dautres
personnes, naturellement avec mon entourage immédiat dans mon
pays, au Pérou, mais aussi avec beaucoup damis dAmérique
latine. En conséquence, quand je ferai allusion à des
moments personnels, jaimerais bien mettre laccent sur une
certaine appelons-la ainsi aventure collective menée
avec beaucoup damis qui ont enrichi ma vie et avec lesquels nous
avons essayé de faire ensemble quelque chose. Je crois que parler
de groupe damis, cest nous rappeler notre dimension sociale,
et jaimerais la prendre beaucoup en compte dans ces quelques réflexions
que je vais présenter.
Cette dimension sociale nous fait donc vivre dans des processus sociaux
et historiques et cela est pour moi très important depuis le
début. La réflexion sur la foi que nous avons essayée
de faire en Amérique latine et qui, comme vous le savez, est
très liée à la vie de tous les jours, je crois
quelle vient vraiment de ces processus sociaux et historiques.
Durant mes années détudes universitaires, jétudiais
la médecine, jai beaucoup participé à la
vie politique universitaire et avec une certaine militance chrétienne,
et tout ceci ma fait ressentir en un moment donné que la
réflexion sur la foi était importante, sur la foi, sur
ma propre vie et ma pratique. Cest ce que je voudrais partager
avec vous.
Ce que nous appelons théologie, et qui est une parole sur Dieu,
part historiquement de la vie quotidienne, de la pratique historique
des chrétiens et des non-chrétiens. Cest dans la
vie quotidienne quen premier lieu on reçoit les questions
et les défis qui interrogent la portée et le sens de la
foi chrétienne. La réflexion vient donc après.
Cest le fameux : « dabord vivre, ensuite penser
» ou philosopher, selon lexpression classique. Seuls ceux
qui sont insérés dans la pratique peuvent penser et réfléchir
théologiquement ; la théologie se situe à lintersection
de la foi chrétienne avec la pensée, la culture, des sentiments,
des attitudes des personnes à un moment historique déterminé.
En troisième lieu, la théologie doit toujours être
une herméneutique de lespérance, cest-à-dire
une interprétation de la raison, des raisons que nous avons despérer
quelque chose de différent de ce que nous vivons aujourdhui.
Permettez-moi de rappeler ces trois moments : la vie quotidienne, la
pratique, le point de départ historique ; la réflexion,
ce point de rencontre entre le message chrétien et la façon
de comprendre notre moment de lhistoire ; et la théologie
comme herméneutique de lespérance. Ces trois moments
sont les trois parties de cette réflexion.
Le point de départ: la pratique
Commençons donc par ce point de départ
historique qui nous renvoie à la réalité que vivent
les personnes, les croyants et ceux qui ne le sont pas et avec lesquels
nous partageons cette réalité. Partir de la vie, cela
pose une question : « comment parler de Dieu ? ». Quand
je dis parler, je ne me réfère pas seulement à
des paroles, je me réfère à des gestes et à
des paroles. Cest un langage pour le dire de façon
meilleure qui comprend non seulement le monde conceptuel, ni
même les seuls termes que nous utilisons, mais qui comprend aussi
ce monde qui est fait de gestes, dattitudes, dengagements,
de solidarité ; tout cela ensemble constitue le langage. En Amérique
latine comme aussi en dautres parties du monde, cette question
peut se formuler de cette manière : « comment dire au pauvre,
à lexclu, à linsignifiant, au marginalisé,
que Dieu laime ? » Le contenu fondamental du message chrétien
est lamour de Dieu, la question est extrêmement aiguë
: comment dire à celui dont la vie quotidienne est en bonne partie
la négation de lamour, comment lui dire que Dieu laime
? Cest le point de départ de la réflexion théologique
sur la foi que nous avons essayée de faire en Amérique
latine. Et de plus, cela nous pose la question qui est une conséquence
de linterrogation antérieure - : comment dire à
ceux qui mangent tous les jours, à ceux qui ont un toit et du
travail, à ceux qui ont les moyens de faire respecter leurs droits
humains et les moyens de maintenir leurs privilèges, que le Dieu
dAbraham, de Moïse, de Jésus est un Dieu qui prend
parti pour les derniers de lhistoire et que la vie menée
par ces personnes nest pas humaine tant que la majorité
de lhumanité na - comme le dit un poète péruvien,
César Vallejo pour attester de sa vie que sa mort. Comment
dire ces deux choses ? Bien plus : comment sadresser à
ces deux grands secteurs de lhumanité ? Aux pauvres dont
la vie quotidienne est une négation de lamour, dire que
Dieu les aime, et à ceux qui ont dautres conditions de
vie, leur dire que cet amour de Dieu a une préférence,
une priorité pour les derniers de lhistoire. Non seulement
cest difficile, mais cest conflictuel de tenter de parler
ainsi.
Dans les années 50-60, nous commençons à vivre,
en Amérique latine, un phénomène historique qui
continue, il est bon de nous en rappeler, non sans des hauts et des
bas naturellement, cest-à-dire non sans des avancées
et des reculs ; nous commençons à vivre un phénomène
historique que nous pouvons appeler une nouvelle présence des
pauvres sur la scène de lhistoire, sur la scène
sociale et politique, sur la scène de la pensée et de
la réflexion. Les pauvres qui ont toujours été
les absents de lhistoire - en réalité, absents de
lhistoire écrite, lhistoriographie, parce quils
étaient dans lhistoire -, ceux qui ne sont pas pris en
compte, ces anonymes de lhistoire, ont commencé à
manifester leur présence. Cest au cours de ces années
que sont nées des expressions que nous utilisons aujourdhui,
comme par exemple lexpression sous-développement ou celle
de Tiers-monde pour désigner ces peuples réunis en Indonésie
au milieu des années 50, pour les distinguer de ceux quon
appelle le Premier monde, le monde capitaliste.
À cette époque, en Afrique aussi, les nouvelles nations
commencent à sorganiser et apparaissent sur la scène.
En Amérique latine, les organisations populaires sont de plus
en plus actives et se font remarquer. Il est fort probable que pour
beaucoup de ceux qui sont ici, cela leur apparaisse comme un phénomène
plus ou moins normal ; pour ceux qui ont accumulé deux ou trois
jeunesses, comme cest mon cas, je peux leur dire quil nen
était pas ainsi au cours de ma première jeunesse. Purement
et simplement, bien quil y ait eu des organisations syndicales,
aussi bien ouvrières que paysannes, que populaires, nous navions
pas ce que nous commençons à avoir - non sans problèmes
et non sans répressions - sur le continent. Jai dit quil
sagissait dun processus qui a commencé à cette
époque, peut-être un petit peu plus tôt, et qui a
continué, ce qui fait que les thèmes autour de la pauvreté
et de la marginalisation sont des thèmes aussi importants aujourdhui.
Bien sûr, je sais que cela na pas suffi à changer
la situation, mais de toute façon ces secteurs sociaux ont commencé
à se faire entendre et aussi à faire sentir leur présence,
et ceci me paraît quelque chose dextrêmement important.
Ceci nous a fait voir que ce monde de la pauvreté, de lexclusion
et de la marginalisation, était beaucoup plus quun problème
dordre économique et social, cétait une question
humaine globale, avec ses différentes arêtes, avec ses
différentes dimensions, et qui par conséquent représente
un défi pour la conscience humaine et la conscience chrétienne.
Quand je dis que cest plus quun problème économique
et social, je vous demande de prendre en compte le plus ; ou, autrement
dit, cest bien évidemment un fait dordre économique
et social, culturel, etc., mais cest beaucoup plus que cela. La
pauvreté ne se réduit pas à laspect économique,
- capital à coup sûr -, extrêmement important. Et
cest pourquoi, au cours de la réflexion faite les années
antérieures, nous avons commencé à parler du pauvre
comme de quelquun de socialement insignifiant entre guillemets,
cest clair - et une personne peut être insignifiante pour
des raisons économiques, parce quelle na pas un centime
en poche ; pour des raisons dordre culturel, racial et de genre.
À ces niveaux, une personne peut être insignifiante, et
cest sûr, la chose est encore beaucoup plus profonde et
grave si ces différentes dimensions sont cumulées. Pour
dire ce qui a constitué le grand impact de cette nouvelle présence,
la pauvreté signifie la mort, en dernière instance ; mort
prématurée, mort injuste. La mort injuste et prématurée
est ce qui caractérise fondamentalement la pauvreté et
les aspects dordre social je le répète
sont essentiels, mais aussi les aspects culturels, le sexe des personnes,
la question raciale et il ne nous plaît pas à nous
les Latino-Américains que nous parlions de racisme parce que
nous considérons que nous navons pas de lois racistes.
Et pourquoi avoir des lois racistes si nous avons des habitudes racistes?
Cela est suffisant.
Théologie et histoire
Ce qui a également changé la perspective à cette
époque et qui continue de la changer aujourdhui, cest
que la pauvreté nest pas une fatalité, cest
une construction humaine ; ce nest pas un destin, cest une
condition et les conditions peuvent changer ; ce nest pas le fruit
du hasard, cest une injustice. La conscience du pauvre a donc
réellement changé au cours de ces décennies. Les
experts parlent de causes de la pauvreté, mais le peuple pauvre
a chaque jour pris davantage conscience de cela. Il sagit dune
condition créée grâce à des notions, des
catégories culturelles, des structures dordre économique
et social, et cela a commencé à faire changer la perception
du pauvre. De même, ce que jai appelé lirruption
du pauvre, cette nouvelle présence a aussi entraîné
quelque chose de très important, qui de toute manière
est présent, cest que la pauvreté concerne des personnes.
Et ces pauvres sont appelés à être les maîtres
de leur destin, les sujets de leur histoire, à prendre en main
les rennes de leur destin. Il y a une phrase dont je sais que certains
la disent avec beaucoup de bonne volonté, cest être
« la voix des sans-voix ». Bien, je ne me sens pas
appelé à être la voix des sans-voix, ce qui mimporte
est que les sans-voix prennent la parole. Cest quelque chose de
très différent et cela vient précisément
de cette nouvelle présence. Ce processus , dont je viens de rappeler
les premiers pas, est toujours présent, nous navons pas
fini de nous rendre compte que la pauvreté est un défi
à la conscience humaine et chrétienne. Nous sommes sur
le terrain de linhumain et pour autant le premier droit humain,
cest le droit à la vie. Cest le droit fondamental.
Nous devons réaliser que lorsque nous parlons de pauvreté,
nous parlons également de ses causes et de construction humaine
et pour autant de la possibilité de déconstruire ces causes.
Lattention au pauvre, la solidarité avec le pauvre ne peut
pas se limiter seulement à laide aux personnes qui souffrent
de la pauvreté. Honnêtement, je crois que cela continue
dêtre important, mais si cela nest pas accompagné
du refus de ce qui la provoque, ce nest pas une solidarité
authentique ; bien plus, je dirais que si nous nous limitons à
laide immédiate aux pauvres je pense au monde religieux,
et pas seulement chrétien nous aurons du travail, parce
que les mécanismes qui la produisent ne seront pas affectés.
Et là, je voudrais poser une autre question, inspirée
dun texte biblique : « Où dormiront les pauvres dans
le monde que nous construisons de nos jours ? » Une question aussi
simple que celle-ci ou qui pourrait être : « Que vont manger
les pauvres dans le monde daujourdhui ? ».
Au point où jen suis, je voudrais aussi rappeler quelques
faits : nous sommes dans un forum qui a comme lune de ses perspectives
centrales ce que nous appelons la mondialisation. La mondialisation
pour la situer comme point de réflexion est une
expression trompeuse. Elle donne limpression que nous allons vers
un monde unique alors quen réalité, nous réalisons
de plus en plus quon va vers deux mondes. La brèche entre
les personnes et les pays riches et entre les personnes et les pays
pauvres sagrandit. Cette brèche est énorme. Quelle
mondialisation voulons-nous ? Mais pas seulement cela, je crois aussi
que dans ce monde globalisé dans lequel des courants comme le
néolibéralisme économique a une présence
aussi grande, il y a aussi, idéologiquement, un monde qui se
traduit dans des expressions qui prétendent dire que létape
que nous vivons est absolument nouvelle, rien de ce qui sest fait
antérieurement ne vaut la peine aujourdhui. On dit que
cette époque est post-moderne, post-capitaliste, post-industrielle,
post-coloniale, post-socialiste ; et les gens sont ravis dêtre
"post" ces derniers temps. Tout serait nouveau, tellement
nouveau quil faudrait effacer absolument ce qui sest fait
dans les temps antérieurs. Or nous savons fort bien que la meilleure
manière de poser des limites à un peuple est deffacer
sa mémoire. Cest ce que fit un vice-roi très important
du Pérou au XVIème siècle : il a tenté deffacer
la mémoire des Incas pour pouvoir mieux dominer. Cest typique.
Toujours, le dominateur a tenté deffacer la mémoire.
Mais, dans les dernières décennies, il y a eut un très
grand effort de la part des pauvres dAmérique latine, par
des moyens très variés, pour revendiquer leur identité
humaine. Pour le dire simplement, comme lexprimait un manifeste
de 1969 des Noirs des États-Unis:
« nous existons », cest-à-dire que nous
sommes ici, nous sommes présents.
Il ne sagit pas de fermer les yeux face aux réalités
nouvelles, mais il faut être en même temps très clair
face au martèlement idéologique qui consiste à
faire croire que les choses sont absolument nouvelles dans le monde
contemporain.
La théologie est une herméneutique
de l'espérance
Et ceci me conduit à la troisième
partie. Je disais quune théologie doit être aussi
une herméneutique de lespérance et ceci me permet
dintroduire une précision à quelque chose que jai
affirmé il y a un instant. Je crois quil faut partir de
la dure situation, de la souffrance et de cette espèce dinsignifiance
sociale qui constitue le noyau de la pauvreté ; mais pas seulement
cela. Mais il faut partir aussi des espérances de ce secteur.
Les souffrances ont très fortement marqué la théologie
que nous avons faite en Amérique latine, mais il faut voir quelque
chose de plus. Permettez-moi de me référer à une
question bien personnelle : lorsque jessayais de travailler ces
thèmes de la théologie de la libération, jécrivais
quelque chose à ce sujet et il me parut indispensable de venir
au Brésil. Je fus ici en mai 1969, cest-à-dire peu
de mois après lActe institutionnel numéro 5 du 13
décembre. Un temps terrible, comme beaucoup dentre vous
sen souviennent. De nombreux amis brésiliens, des militants
chrétiens, des membres de communautés de base me conseillèrent
dutiliser ma mémoire et non pas décrire les
numéros de téléphone des personnes que je devais
appeler. Je suis allé dans quatre villes : à Rio, São
Paulo, Bello Horizonte et Recife. A Recife, jétais avec
Henrique Pereyra Neto, un des premiers prêtres assassinés
en Amérique latine. Il a été assassiné une
semaine après que jai quitté le brésil. Cest
pour cela que jai dédicacé le livre sur la théologie
de la libération que je travaillais à lépoque,
à cet ami, comme je le dédicaçais aussi à
un écrivain péruvien indien, José María
Arguedas et sincèrement jai essayé de le faire symboliquement.
Je voulais le dédicacer à un Noir comme Henrique et à
un Indien comme Arguedas, ce qui était le dédicacer aux
derniers de la société latino-américaine.
Jai pu voir les souffrances, jai pu entendre les récits
de ces moments qui se vivaient Brésil. Mais je pus en même
temps écouter aussi les espérances, parce que lespérance
est quelque chose qui apparaît parfois au milieu de la souffrance,
non seulement quand les choses vont bien. Je dirais que lorsque les
choses vont très bien, les gens parlent moins despérance
et quand je parle dherméneutique de lespérance,
je voudrais prendre en compte aussi bien les souffrances, les mauvais
moments que lespérance dont beaucoup de personnes font
preuve. Je disais en commençant que parler de la théologie
comme herméneutique de lespérance signifiait rechercher
les raisons despérer. Et naturellement, il y a une raison
fondamentale pour un croyant, la confiance en Dieu. Mais il faut enrichir
cela avec notre vie quotidienne et avec les processus historiques. Mettre
cela en rapport, cest aussi faire de la théologie. Mais
nous sommes aussi aujourdhui dans une situation extrêmement
compliquée, où lon trouve une critique très
forte à légard de tout ce qui serait projets et
utopies.
Un écrivain péruvien, José Carlos Mariategui, a
écrit dans un article dans lequel il disait : « Beaucoup
de personnes, et moi aussi, sommes fatigués de parler de conservateurs
et de progressistes, je propose donc de changer la nomenclature, le
vocabulaire, et dappeler les progressistes des personnes qui ont
de limagination, et les conservateurs des gens sans imagination
. » Et il ajoutait à la fin de son article : « Mais
je suis sûr quon ne va pas accepter ma nouvelle nomenclature
par manque dimagination. » Et je pense quil en
est bien ainsi dans la réalité. Limagination est
le monde ou lespace mental où nous nous projetons. Et aujourdhui,
il existe quelque chose de très fort à cet égard
: toute volonté de lutte pour la justice, tout désir de
sopposer à loppression et au mauvais traitement du
pauvre, avec la complexité et la multidimensionnalité
mentionnée il y a un instant, ont été vus comme
quelque chose dutopique au sens péjoratif du terme. Avec
votre permission, je citerai un autre poète, cette fois un Espagnol,
qui a dit quelque chose de très beau : «A veces, los
sueños se desensueñan y se hacen realidad. »
[littéralement: « Parfois les rêves se dérêvent
pour devenir réalité »]. Et je pense que cest
ce qui est en train de se passer aujourdhui au Brésil.
Ce sont des rêves qui cessent dêtre rêvés
et qui deviennent des réalités. Mais les réalités
supposent quil y ait construction, quil y ait travail. Il
y a peu, quelques minutes avant de commencer cette présentation,
un vieil ami que je navais pas vu depuis des années ma
offert un livre sur le Chiapas, dont le titre est Construire lespérance.
Cest vrai : lespérance, le projet, lutopie,
il faut les construire. Parce que lavenir ne vient pas tout seul.
Le futur est dans nos mains.
Je voudrais terminer en rappelant un texte de lÉvangile
qui a toujours appelé mon attention : « Que ta lumière
ne se change pas en ténèbres. » Mais il ny
a pas de façon dont la lumière se change en ténèbres.
On peut léteindre, mais la lumière ne peut pas se
transformer en obscurité. Mais, ultérieurement, voyant
certains processus politiques et sociaux, jai trouvé un
sens dont je ne sais pas sil est le vrai, mais je veux le partager
avec vous. La lumière de gens qui estiment voir clairement à
un moment donné peut se convertir en obscurité pour une
masse pauvre. Nous qui sommes ici nous nous mouvons dune manière
ou dune autre, partiellement au moins, dans le monde des idées,
des concepts, dans le monde intellectuel et cela peut être obscurité
pour beaucoup. Je pense quen Amérique latine nous avons
eu et nous continuons davoir dexcellentes études
sur la réalité, qui éclairent le continent. Mais
sont-elles réellement lumière ou obscurité pour
ceux qui subissent les situations que nous étudions ? Certainement,
une étude est toujours de la lumière, mais derrière
cette étude il y a des personnes concrètes qui souffrent
de la faim, marginalisation, violence. Ce sont des enfants, des femmes,
des personnes marginalisées en raison de la couleur de leur peau,
de leur race, de leur culture, etc. Il me parait donc fort important
dessayer déviter une chose de ce genre.
Finalement, jaimerais ajouter une petite anecdote. On ma
posé quelques fois cette question : « Si vous deviez
écrire à nouveau la théologie de la libération,
écririez-vous ce livre tel que vous lavez fait il y a plusieurs
années ? » Bien, je répondais : « Non
». « Ah ! Donc, vous vous rétractez. »
« Eh bien non, pas davantage. » Comme cette réponse
ne me satisfaisait pas, je répondais ainsi à la même
question en dautres occasions : « Oui ». «
Ah, entêté, vous navez rien appris. »
Ce nétait pas non plus une bonne réponse. Jusquà
ce quun jour je trouve la façon de répondre. Je
dis à un journaliste: « Voyons, mon ami, vous êtes
marié ? ». Surprise de sa part puisquil ne voyait
pas la relation entre son mariage et la théologie de la libération,
et il me dit : « Oui » « Depuis combien de
temps êtes-vous marié ? » Disons quil ma
répondu depuis 15 ou 20 ans. « Vous aimez votre épouse
? » Le gars qui commençait à se sentir gêné
me répondit: « Oui, bien sûr. » Je lui
demandais alors : « Seriez-vous capable décrire
une lettre damour à votre épouse dans les mêmes
termes quil y a 20 ans ? » « Non ».
« Eh bien, moi non plus ».
Pour moi, faire de la théologie, cest écrire une
lettre damour au Dieu auquel je crois et au peuple auquel jappartiens,
et cest pour cela que je me permets de dire que les choses que
jai essayé de rappeler restent vivantes et présentes
parmi nous, avec, il est vrai, des changements considérables.
Il me semble quaujourdhui nous rencontrons quelque scepticisme
chez certaines personnes qui disent : « Tu sais, moi jen
suis revenu de ces illusions. » Ce qui mimpressionne
le plus, ce sont ceux qui font le voyage retour sans jamais avoir fait
laller. Ceux-là me surprennent vraiment.
Bien, il ne me reste plus quà vous remercier de votre présence
et à vous remercier surtout de votre amitié.
Traduction DIAL.
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