Mgr Samuel Ruiz, appelé « Tatic (père)
Ruiz » par les Indiens auxquels il a consacré sa vie,
est lune des très grandes figures de lépiscopat
latino-américain. Pendant quelque quarante ans, il fut évêque
de San Cristóbal de Las Casas dans lEtat du Chiapas au
Mexique. Il a puissamment contribué à faciliter aux
Indiens la prise de conscience de leurs droits. Un moment clef en
fut lorganisation du premier congrès indigène
du Chiapas en 1974, auquel participèrent environ deux mille
indigènes. Il fut aussi médiateur officiel entre lArmée
zapatiste de libération nationale (EZLN) et le gouvernement
fédéral, fonction dont il finit par démissionner
pour en dénoncer linefficacité. Mgr Samuel Ruiz
a toujours cherché à construire dans son diocèse
une Eglise culturellement indigène, malgré les oppositions
quil a rencontrées. Il a su mettre sur pied un réseau
impressionnant de catéchistes laïcs, véritables
leaders des communautés chrétiennes indigènes,
et il a procédé à de nombreuses ordinations de
diacres indigènes. Il est actuellement retiré à
Queretaro, à quelque deux cents kilomètres au nord-ouest
de Mexico. Nous publions ci-dessous le dernier grand texte de Mgr
Samuel Ruiz, Une nouvelle heure de grâce, en date du
25 janvier 2004, dans lequel il nous indique quelle est sa vision
globale du monde actuel et nous donne un fort témoignage despérance.
Introduction
Une nouvelle heure de grâce s'entrevoit après lintense
cheminement que notre nation, les peuples indigènes et le Chiapas
ont vécu ces dix dernières années. Déjà,
en août 1993, jexprimais, dans la lettre adressée
au Pontife romain, langoisse qui, en raison de linjustice
et de leur mise à lécart, accablait les communautés
indigènes du diocèse de San Cristóbal de las Casas,
mais je signalais aussi les lumières despérance
qui illuminaient les sentiers de lavenir.
En cette nouvelle heure de grâce, considérant les «
signes des temps » dune nouvelle étape que nous devons
franchir en pèlerin fidèle à notre espérance
en une Terre nouvelle pour toutes et tous, je découvre que ma
condition dévêque émérite :
- moblige à me sentir tel, dans lEglise et
pour lEglise ;
- me pousse à rester attentif à la voix des pauvres,
tout en gardant aussi dans mon coeur la sollicitude pour tous les chrétiens
et toutes les Eglises du monde (Jean-Paul II, Pastores Gregis,
16 oct. 2003, n° 1).
- exige de moi que je communique ma pensée ancrée
dans la foi et que, à mon tour, je menrichisse de la parole
des communautés, organisations et personnes dont laction
a été déterminante dans le processus historique
auquel nous avons tous part.
Mes paroles désormais se situent dans une autre perspective.
Ce nest pas que le conflit que vit le Chiapas ait été
résolu, ni quil ait perdu de son importance. Cest
que la paix ne sera pas construite sur la seule base defforts
nationaux, alors même que ses causes sont de plus en plus globales
et appellent à un changement urgent et profond dans le système
économique et politique dominant.
Ce nest pas que jaie reçu un message ou une mission
spéciale, mais au 44ème anniversaire de ma consécration
épiscopale, après avoir été béni
comme pèlerin avec les peuples indigènes et comme membre
dune Eglise qui sefforce de faire siennes les tristesses,
les angoisses, les douleurs, les joies et les espérances du peuple
(Vatican II, Gaudium et Spes, 1), je perçois, avec beaucoup
dautres personnes, les indices dune nouvelle étape
de lhumanité et lurgence me brûle de joindre
mon cri au leur, pour rendre patents, à ceux qui voudront les
voir, ces « signes indubitables des temps » et ce
singulier « passage du Seigneur » auprès du
« nouveau peuple de Dieu » qui savance à
la suite du Christ ressuscité.
Je ne peux, par ailleurs, cesser de voir et de signaler la recrudescence
de certaines conséquences négatives dues au système
néolibéral dominant :
-La mondialisation a été dominée par des modèles
de léconomie et de la politique qui, détachés
de léthique, accentuent linégalité
économique et creusent linjustice. Les actuelles structures
dominantes ont apporté la frustration, lexclusion et la
mort pour la majorité des peuples.
- De plus, en ayant introduit linacceptable et démagogique
guerre appelée « préventive », on a
causé une sérieuse détérioration des droits
humains et de lhumanité comme telle, car on a réduit
ou affaibli les instances mondiales chargées de veiller sur la
paix. Les dérives destructrices de cela se retrouvent sur tous
les continents : flux croissant de migrations et lévidence
que les promesses de diminuer significativement la pauvreté sont
loin dêtre tenues.
- Ces répercussions assombrissent le panorama mondial : accroissant
la dépendance de pays par rapport à dautres, ce
sont des signes de mort.
Cest précisément sur ce sombre arrière-fond
où marchent les peuples, que je constate quil y a des signes
despérance, que resplendit la lumière des signes
de vie et la présence féconde de la Parole divine qui
a inspiré tant de personnes et de communautés dans leur
recherche de la justice et de la paix.
Signes de vie
La statue du système sécroule
Bien que la mondialisation néolibérale se présente
comme une opportunité historique unique, comme un projet fondamental
défini et définitif et comme lultime réalité
viable dans lhistoire, elle porte en elle les contradictions et
les faiblesses qui la conduisent à sa mort.
- En accélérant dangereusement la consommation de matières
premières non renouvelables, en utilisant sans discrimination
des substances chimiques, elle cause un dommage qui menace sérieusement
la survie de la planète et loblige, par conséquent,
à changer de cap.
- En promouvant, pour subsister, une constante augmentation de la production
; quand, dans ce but, elle introduit lautomatisation, elle met
du côté un nombre considérable de travailleurs et
réduit lensemble des consommateurs de sa production.
- En absorbant les pays du monde pour les transformer en un supermarché
où tout porterait un écriteau avec linscription
« A VENDRE », elle concentre le pouvoir économique
dans la pointe de la pyramide sociale, crée un déséquilibre
économique qui aboutit à la ruine et accentue ainsi une
opposition générale.
- Finalement, en conduisant les dernières « conquêtes
» de la technique par des voies de plus en plus déshumanisantes,
elle accentue lhostilité générale suscitée
par les conséquences négatives qui lui sont inhérentes.
Une pierre descend déjà de la montagne de lhistoire
contre les pieds de la statue, grande, brillante et daspect terrible,
qui la réduira en poussière emportée par le vent,
et il nen restera aucune trace. « Le Dieu du ciel établira
un royaume qui jamais ne sera détruit. » (cf. Daniel
2, 31-44).
Une société sans guerre
- Un signe évident du cheminement vers une nouvelle époque
a été la mobilisation mondiale pour rejeter linvasion
de lIrak par les Etats-Unis et leurs alliés. Cest
un mouvement civil mondial qui sest montré très
puissant, qui, dans son rassemblement et ses résultats, dépasse
les mouvements de masse classiques, par sa force et sa cohérence
dans la protestation comme dans la proposition. Nous avons assisté
à laction la plus ample de lhistoire de lhumanité.
Il a été mis en évidence que ce modèle de
développement, pour exister, est obligé de voler et pour
voler, il est obligé de tuer. Et les dirigeants du monde unipolaire
et supranational ont eu la franchise inattendue de le dire et de le
faire sans aucune dissimulation. Ces événements ont rendu
patent léloignement croissant entre les gouvernements et
les peuples, entre la société civile et la société
politique.
- Devant les nouvelles armes et leurs effets destructeurs énormes,
aveugles, qui dépassent les limites de la légitime défense,
il faut examiner la guerre et la paix avec une mentalité totalement
nouvelle.
« Nous devons essayer, avec toutes nos forces, de préparer
une époque où puisse absolument être prohibée,
par accord des nations, toute guerre. Cela requiert létablissement
dune autorité publique universelle reconnue par tous, dotée
dun pouvoir efficace pour garantir la sécurité,
lexercice de la justice et le respect des droits... La paix naîtra
de la confiance des peuples et ne doit pas être imposée
aux nations par la terreur des armes ; pour cette raison, tous ont le
devoir de travailler à mettre fin à la course aux armements,
pour que commence réellement la réduction des armements,
non unilatérale mais simultanée, dun commun accord,
avec des garanties authentiques et efficaces. » (Gaudium
et Spes, 82, 1).
Lutter pour la paix ne signifie pas seulement sopposer à
la guerre ou adopter une simple position pacifiste, mais adopter une
position intégrale qui, tout en questionnant le système
capitaliste néolibéral, nous interpelle aussi sur la justification
de la violence, comme si celle-ci était lunique voie pour
affronter linjustice. Quand on réfléchit sérieusement
à la position du Christ lui-même, qui a proclamé
son commandement nouveau daimer son prochain comme lui nous a
aimés et daimer même nos ennemis (Mt 4, 38-48 ; Lc
6, 27-35), on en conclut que la non-violence active est la réelle
alternative pour construire une société où trouvent
leur place toutes et tous, sans avoir à sacrifier personne pour
conserver la paix et lordre.
Les humbles et les simples sont les plus ouverts à ce message,
car ils ont vécu, eux, dans leur propre chair, la violence à
luvre dans la guerre et linjustice. La non-violence
nous invite à être aux côtés des victimes
engendrées par nimporte quel système, gouvernement,
société ou communauté. Jésus nous appelle
à être leurs défenseurs, même si cela nous
oblige à parcourir son propre chemin, celui de la Croix. La question
que Dieu nous posera à la fin de notre existence sera : De quel
côté avons-nous été ? Qui avons-nous défendu
? Pour qui avons-nous opté ? Questions que personne, pas même
les puissants, ne pourront éluder à la fin de leur vie
(Mt 25, 31-46).
Un autre monde est possible
Les conséquences négatives de ce système néolibéral
ont amplifié la manifestation de rejet de ce dernier. «
Le système accentue chaque jour et chaque nuit son caractère
génocidaire, détruisant les conditions de vie et la dignité
de lhumanité présente et menaçant la survie
de lhumanité future. » A lintérieur
même du système « saccentue inexorablement
son caractère écocide polluant et détruisant la
nature, sacheminant fatalement vers une catastrophe environnementale.
Une alternative est urgente car le système ne se limite pas à
détruire la vie, mais il étouffe aussi les raisons de
vivre, agissant comme un rouleau compresseur des valeurs, des cultures
et de la spiritualité. » (Giulio Girardi, Resistenza
e alternativa, Edizioni Rosso, p. 13, § 2).
On est impressionné par la simple énumération des
nombreuses manifestations (depuis Seattle 1999 jusquà Cancún
2003) et par le nombre croissant de leurs participants, qui nont
cessé de manifester leur rejet du système dominant, leur
conviction quun autre monde est nécessaire, quun
autre type de société est possible, et quil y a
urgence. De manière convergente, se sont tissés dans notre
Mexique, dans différents Etats et au Chiapas même, des
réseaux dorganismes et dassociations qui, au prix
dune transformation interne, assument également la tâche
dindiquer des voies nouvelles. Tout est désormais un cri
retentissant qui, au milieu dune grande souffrance, commence à
rencontrer un écho dans les organismes internationaux eux-mêmes.
Apparaît déjà une société dont lunité
nait pas un caractère monolithique, comme celui quimpose
la mondialisation, mais où lon comprenne et exerce le droit
dêtre le sujet de sa propre histoire et où lon
accepte les identités spécifiques ; où lon
reconnaîtra lautonomie des nations et des peuples autochtones
avec leur unité et leur diversité. Cette nouvelle société
aurait pour caractéristique daccepter la revendication
du droit à lautodétermination, cest-à-dire
le recouvrement de lidentité culturelle avec ses valeurs
et la récupération de la mémoire historique : autodétermination
qui exige un modèle alternatif au néolibéralisme,
tel que les protagonistes soient les peuples eux-mêmes ; autodétermination
qui demande lintégration et légalité
de la femme.
Dans ce nouveau modèle dunité doivent disparaître
les inégalités indues ; les plus faibles doivent être
protégés par les autres et, comme dans le corps, tous
les membres doivent contribuer au bien commun, animés par le
même Esprit (1Cor. 12, 12-31).
« Notre salut est maintenant plus proche... La nuit avance
; le jour est proche » (Rom. 13,11).
Emergence des "pauvres"
Dans lensemble des signes ou des manifestations mondiales diverses
qui uvrent à la construction dun monde autre, on
remarque lémergence des « pauvres », des «
peuples indigènes » et des mouvements sociaux.
La pauvreté accrue par ce système dominant provoque un
processus collectif de prise de conscience de la mondialisation des
droits humains. Tandis quen haut le pouvoir se mondialise,
en bas les droits se mondialisent et les mouvements sociaux se coordonnent.
Les gens ne regardent pas seulement les différences sociales
au milieu desquelles ils vivent, mais aussi, quand ils entendent les
messages égalitaires, ils nourrissent une légitime aspiration
à élever leur niveau de vie, si bien que la dimension
éthique des droits économiques, sociaux et culturels,
dépasse maintenant les limites dun territoire, dune
nation ou dune région. Il se produit ainsi, à lintérieur
même du processus de mondialisation, une irruption généralisée
des pauvres qui ont une conscience claire quil faut changer
ce système et quil existe vraiment des alternatives pour
le changer.
Plein despérance, on voit concrètement la force
mondialisatrice des exclus, qui nacceptent pas que ce système
soit définitif, et qui, avec véhémence, clament
quun autre système où la justice et la vérité
resplendiraient, est urgent, est possible ; un système qui ne
serait pas constitué par la concentration du profit, mais par
la répartition des richesses ; où ce ne serait pas lindividualisme
égoïste, mais la dimension communautaire et le respect de
la dignité humaine que lon placerait au-dessus de léconomique.
Les pauvres et les peuples indigènes sont la preuve évidente
de la prise de conscience de lidentité ethnique et culturelle
opposée à lhomogénéisation à
laquelle conduit la mondialisation actuelle. Ce sont eux les acteurs
efficacement présents dans la transformation de plusieurs pays
du continent. Ce sont eux qui injectent une dose de « valeur
communautaire » à un système infecté
par un individualisme nocif. Ce sont eux qui brandissent le drapeau
de la dignité humaine et du droit individuel et collectif, nié
par ce système néolibéral. Ils sont larbre
qui garde lespérance de construction dune société
alternative, fondée sur la reconnaissance et le respect de la
différence, et ils sont « le reste » [sans doute
allusion au thème biblique du « reste » qui, après
le désastre, subsistera pour assurer le salut, reste formé
par les petits, les humbles, les faibles (cf. Sophonie 3,11)] qui
considère la diversité comme un ensemble de richesses
nouvelles et de potentialités pour le développement humain.
Ceci nest pas un rêve irréalisable et irresponsable
; cest un cri despérance qui cimente déjà
le sentiment de millions dêtres humains ; cest la
réponse des mouvements sociaux à la mondialisation.
Quand le Christ, le Fils de Dieu, sest fait homme et surtout lorsque,
dans sa passion et sa mort, il atteignit lexpression maximale
de la pauvreté, il nous a donné la raison pour laquelle
les pauvres méritent une attention préférentielle,
quelle que soit la situation morale ou personnelle où ils se
trouvent. Ce sont les pauvres les premiers destinataires de la mission,
et leur évangélisation est par excellence signe et preuve
de la mission de Jésus (Conférence générale
de lépiscopat latino-américain, Puebla 1142).
Ainsi acquiert-elle à nos yeux une vigueur historique cette parole
de Jésus affirmant que le Royaume des cieux est aux pauvres
(Lc 6, 20).
Solidarité mondiale
Nous sommes témoins dune solidarité mondiale inespérée
et réciproque. On est parvenu à ce moment par un processus
graduel qui a connu plusieurs étapes. Réunions, rencontres,
forums, etc. ont abouti à lanalyse commune qui met en évidence
la relation de causalité structurelle et dominatrice par laquelle
le système néolibéral lie le tiers-monde au premier
monde dans les domaines économiques et politiques.
« Mais la nouvelle solidarité internationale se caractérise
par la conscience de la convergence, à léchelle
mondiale, des souffrances, des problèmes, des revendications
et des espérances, caractéristiques de lère
de la mondialisation néolibérale. Ere durant laquelle
se transforme profondément le sens du conflit Nord-Sud, étant
donné que sont en cours de constitution et de renforcement des
zones du Sud à lintérieur du Nord et des zones du
Nord à lintérieur du Sud. La solidarité internationale,
pour autant, nest plus le soutien dune cause juste, mais
lointaine ; cest une mobilisation imposée par les processus
de mondialisation dans une bataille commune, aux dimensions mondiales,
contre le néolibéralisme ; dans cette lutte, ce qui est
en jeu, cest lavenir de lhumanité ! »
(Giulio Girardi, Resistenza e alternativa, Edizioni Rosso, p.
13, § 2).
Lévénement tragique des tours jumelles le 11 septembre
et les décisions qui, à partir de là, ont été
prises, ont stimulé la conscience que « premier »
et « tiers monde » naviguent dans le même bateau et
que les conséquences négatives de ce système demandent
durgence et à grands cris un changement de société.
En provenance du tiers-monde, sont offerts à lhumanité
une vision alternative et un projet dhumanisation de léconomie
et des relations internationales, qui constituent un apport dune
valeur incalculable pour les sociétés qui croient tout
posséder.
Tout cela nous fait sentir, non seulement la vulnérabilité
et la caducité du système dominant, mais quest déjà
en marche la construction dun monde nouveau où les laissés-pour-compte
sont les protagonistes. Et nous voyons que ceux qui étaient considérés
comme les derniers seront les premiers (Lc 13, 29 s).
Coresponsabilité politique
Nous avons vu que, de manières très diverses, sest
manifestée une effervescence de la société mexicaine
et que, de façon inattendue, en un processus intense sur les
deux ans écoulés, de nombreuses organisations sociales
et civiles ont décidé de chercher des formes nouvelles
dunité et de coordination. Initialement motivées
par la solidarité avec les événements du Chiapas,
elles furent ensuite stimulées par la réaction mondiale
de rejet de la guerre. Cest ainsi que surgit un mouvement de la
société civile contre le système néolibéral,
et qui ne cesse de développer une fébrile activité
en réunions, actions concertées denvergure toujours
plus grande.
Par ailleurs, on ne peut dissimuler la coresponsabilité politique
généralisée, chez des particuliers, dans des regroupements
professionnels, des secteurs, des organismes, des populations et des
régions, qui agissent pour réclamer et défendre
leurs droits. Par exemple, en solidarité avec ceux qui sont victimes
de brutalités, ils endurent eux-mêmes humiliations et violences.
Lapathie générale de la population appartient au
passé. Maintenant, il existe un potentiel porteur despérance,
qui se développe et sunifie, conscient de sa responsabilité
historique.
Une nouvelle organisation sociale en marche
Quand on se rend à lévidence quil y a divorce
entre le peuple et les autorités dans les différentes
nations, on voit la réelle possibilité que les processus
électoraux, au lieu dêtre menés à bien
par lintermédiaire des partis politiques, le soient plutôt
grâce à des mécanismes civils alternatifs. Cela
exigera de la société quelle poursuive son organisation
en réseaux de groupements civils et cela lui permettra une présence
plus active quavec la représentation par partis, et rendra
possible un dialogue plus réel et constant avec les autorités,
au lieu quil soit limité aux seules périodes électorales.
Ce sera une avancée dans le processus de démocratisation,
où la coresponsabilité et la participation de la communauté
seront vécues plus profondément.
Ce processus de changement, nous ne lenvisageons pas comme se
produisant dun coup ; mais nous observons comment marchent de
pair les différents acteurs au sein du mouvement densemble.
Nous voyons ces événements avec « la conviction
que lEsprit du Seigneur, comme artisan de lespérance
chrétienne, déploie sa force et sa sagesse sur la communauté
qui acquiert le discernement et sengage dans des actions pour
assumer la personne humaine comme valeur suprême de la création
» (CELAM 1999-2003, Globalizacion y Nueva Evangelizacion en América
Latina y el Caribe, n°523).
La paix avec justice et dignité
Dans le cadre du nouveau contexte mondial, voilà le dixième
anniversaire du conflit armé non résolu [référence
au soulèvement zapatiste du Chiapas du janvier 1994] qui
a joué un rôle dans lévolution de notre patrie.
Tout bien considéré, il est évident que, malgré
la non-résolution des causes du conflit, leffort pour construire
la paix avec justice et dignité - les acteurs furent nombreux
et divers - est un patrimoine commun à toute la nation, la source
davancées, de réussites et dune conscience
nouvelle.
Sans être le seul facteur, le soulèvement de lEZLN
(Armée zapatiste de libération nationale) et son évolution
politique ultérieure favorisa la conscience et lorganisation
de bien des peuples indigènes du Mexique. Il facilita le surgissement
dune nouvelle conscience dans le pays par rapport aux droits et
à limportance des indigènes. Il stimula la croissance
et la participation de la société civile. Il mit la classe
politique au défi de chercher de nouvelles voies. Il joua un
rôle dans certaines des rares avancées concernant la réforme
de lEtat. Il rendit plus visible la nécessité de
transformer les institutions ainsi que les relations sociales et économiques.
Il mit en évidence les graves déficiences du système
politique mexicain et le long chemin encore à parcourir pour
avoir une démocratie digne de ce nom. Il exigea des autorités
de lEtat une réponse responsable (toujours différée)
aux causes du conflit. Il interrogea les Eglises sur leur disponibilité
historique dans la recherche de la justice. Il
plaça dans larène internationale le thème
des peuples indiens dans le monde et la dénonciation du système
néolibéral et de ses conséquences.
Cependant, nous insistons, les avancées du Mexique dans cette
décennie sont le patrimoine de toutes les personnes et institutions
qui ont fourni leur apport, tant dans le processus de paix que dans
les multiples luttes politiques et sociales qui ont eu lieu.
Une avancée nécessaire vers la paix pour le Chiapas et
le Mexique exige de tous la volonté (manifestée dans les
faits) dexercer la justice, déradiquer limpunité,
déviter la violence, de vivre la concordance entre les
principes et les actes.
Cela apparaît déjà de façon embryonnaire,
à un degré suffisant pour que nous puissions dire : «
Le Royaume de Dieu est déjà parmi nous, mais il est encore
"dans le mystère" et en croissance. Cest comme
une semence imperceptible ; comme le levain dans la pâte, comme
le blé au milieu de livraie... » (CELAM 1999-2003,
Globalizacion y Nueva Evangelizacion en América Latina y el Caribe,
n°207).
Dialogue interreligieux
Les phénomènes migratoires induits par la mondialisation
et les conflits guerriers, ainsi que la manifestation croissante de
la prise de conscience de lidentité ethnique, rendent indispensable
un dialogue interreligieux, bien au-delà du dialogue cuménique
quentretiennent les chrétiens.
En effet, nous assistons depuis des années à une augmentation
des déplacements de population latino-américaine et caraïbéenne
(y compris un nombre croissant dindigènes), principalement
vers les Etats-Unis et le Canada ; de même, en raison des situations
économiques, des tensions politiques et des convulsions guerrières,
les gens des pays de lEst et de lAfrique migrent de plus
en plus vers lEurope.
Au même moment, les aborigènes apparaissent comme les sujets
acteurs de leur propre histoire ; conscients de leur identité
ethnique si longtemps méconnue et écrasée, ils
récupèrent leurs langues et leurs valeurs culturelles.
Aussi faut-il que les religions précolombiennes, toujours vivantes,
et le christianisme entament un dialogue qui na jamais existé
depuis 500 ans. En même temps, on essaie dimposer au monde
une lecture fallacieuse selon laquelle le terrorisme serait le résultat
dune intransigeance religieuse. Tout cela renforce les initiatives
pour un dialogue entre les religions, qui existait déjà.
« Les questions qui préoccupent les Eglises des "deux
tiers du monde" sont devenues progressivement des préoccupations
de première importance pour lagenda théologique
du monde entier ». Dun côté, des situations,
qui préoccupent dans le « tiers-monde » la théologie
de la libération, ont surgi dans des secteurs déprimés
de la société même du « premier monde »
; de lautre, dans le même temps, la rencontre des cultures
et des religions devient un fait concret dans les nations du «
premier monde ». Résultat : le débat théologique
sur les autres religions sest mué en intérêt
primordial à lintérieur même des Eglises du
monde occidental. Lémergence des pauvres, et loption
en leur faveur, interpelle finalement les membres de toutes les religions.
Nous sommes, certes, conscients davoir à reconnaître
les attitudes négatives qui furent les nôtres pendant près
de 20 siècles, à légard des autres religions,
mais il y a un énorme changement que nous avons opéré
ces dernières années en réfléchissant sur
les principales questions suscitées par le pluralisme religieux,
surtout celle du rôle positif des autres religions dans le salut
de leurs membres ; elle est même devenue un objet de réflexion
théologique sous la forme de « lhistoire du salut
». Il convient enfin de mentionner les « praxis »
récentes inspirées des positions théologiques du
Concile cuménique Vatican II.
Etant donné que les chrétiens et les membres dautres
traditions religieuses font partie de la réalité du Royaume
de Dieu, ils sont aussi destinés à le construire ensemble
dans lhistoire jusquà sa plénitude théologique.
Dans ce contexte, le dialogue possède une dimension constitutive
de lévangélisation, qui nous conduit à reconnaître
la force unificatrice de lEsprit, à luvre dans
la prière sincère des membres des différentes religions
(Jacques Dupuis, Hacia una teologia cristiana del pluralismo religioso,
Brescia 2000, pp. 5-7 et 480 ss. Trad. française : Vers une
théologie chrétienne du pluralisme religieux, Cerf,
Paris, 1997).
Les défis de lespérance
Tous ces signes nous demandent de nouvelles tâches, avant tout
:
- Adhérer à ce que réclament de nous ces signes,
car ce sont des signes du « passage de Dieu » dans lhistoire,
ils manifestent sa présence et nous guident vers lavènement
de son Royaume.
- Travailler sans relâche à établir la justice et
le droit dans un nouvel ordre mondial, pour consolider une paix inaltérable
et durable, et conjurer ainsi définitivement le fléau
de la guerre.
- Continuer à construire le nouveau modèle dunité,
tout en respectant les différences et les droits des plus petits,
aussi bien dans la société quau sein des différentes
confessions religieuses.
- Contribuer aux tâches de protection et de conservation de la
terre, foyer commun et legs pour les générations du siècle
qui commence à peine.
- Participer, selon la position que nous occupons socialement et religieusement,
à la construction de cet « autre monde possible ».
- Nous joindre aux efforts locaux, nationaux et internationaux qui suivent
déjà des chemins de lumière et despérance
renouvelée.
- Travailler infatigablement à la reconnaissance des droits humains.
- Collaborer avec le Père à cette NOUVELLE HEURE
DE GRACE : à son oeuvre toujours créatrice et toujours
rédemptrice, manifestée dans ces tendres surgeons qui
promettent de bons fruits en abondance.
A la Très Sainte Marie de Guadalupe, notre Mère
et Reine de ce continent, nous demandons de continuer à écouter
nos prières, à essuyer nos larmes et à nous accompagner
dans la construction du temple de la nouvelle société,
où les laissés-pour-compte ont leur place spéciale
réservée.
Traduction DIAL.
En cas de reproduction,
mentionner la source DIAL.