Lorsquil prit possession du poste de ministre
de la culture, Gilberto Gil, mondialement connu comme musicien et
chanteur, sexprima sur sa conception de la culture et sur le
rôle quil attribuait à son ministère. Nous
publions ci-dessous quelques extraits de ce discours prononcé
le 2 janvier 2003.
Je souhaite que le ministère
[de la culture] soit présent dans tous les coins et recoins de
notre pays. Je souhaite que cette maison, ici, soit la maison de tous
ceux qui pensent et font le Brésil. Que ce soit réellement
la maison de la culture brésilienne.
Et ce que jentends par culture va bien au-delà du cercle
restreint et restrictif des conceptions académiques, ou des rites
et de la liturgie dune classe supposée
«
artistique et intellectuelle ». La culture nest pas seulement,
comme on la déjà dit, « une espèce
dignorance distinguant ceux qui sappliquent à létude
». Ni seulement ce qui se produit dans le champ des formes
canonisées par les codes occidentaux, avec leurs hiérarchies
suspectes. De même, personne ici ne mentendra prononcer
le mot « folklore ». Les liens entre le concept érudit
de « folklore » et la discrimination culturelle sont plus
quétroits. Intimes. « Folklore », cest
tout ce qui, nétant pas au nom de son antiquité
inscrit dans le panorama de la culture de masse, est produit par un
peuple inculte, par des « primitifs contemporains », comme
une espèce denclave symbolique, historiquement attardée,
dans le monde actuel. Les enseignements de Lina Bo Bardi mont
prévenu définitivement contre ce piège. Le «
folklore » nexiste pas ; ce qui existe cest la culture.
Culture comme tout ce qui, dans lusage de quoi que ce soit, se
manifeste au-delà de sa pure valeur dusage. Culture comme
ce qui, en tout objet que nous produisons, transcende la seule technicité.
Culture comme fabrication des symboles dun peuple. Culture comme
ensemble des signes de chaque communauté et de toute la nation.
Culture comme la raison de nos actes, la substance de nos gestes, le
sens de nos choix de vie.
Dans cette perspective, les actions du ministère de la culture
devront être comprises comme des exercices danthropologie
appliquée. Le ministère doit être comme une lumière
qui révèle, dans le passé et dans le présent,
les choses et les signes qui ont fait et qui font du Brésil,
le Brésil. (...)
Il nappartient pas à lEtat de faire la culture mais
bien de créer les conditions daccès universel aux
biens symboliques. Il nappartient pas à lEtat de
faire la culture, mais bien détablir les conditions nécessaires
à la création et à la production des biens culturels,
soit manuels soit intellectuels. Il nappartient pas à lEtat
de faire la culture, mais bien de promouvoir le développement
culturel général de la société. Parce que
laccès à la culture est un droit fondamental du
citoyen, de même que le droit à léducation,
à la santé, à la vie dans un milieu sain. Parce
que, en investissant dans les conditions de création et de production,
nous prendrons une initiative aux conséquences imprévisibles,
mais certainement brillantes et profondes vu que la créativité
populaire brésilienne, des premiers temps de la colonisation
jusquà nos jours, fut toujours bien au-delà de ce
que permettaient les conditions éducatives, sociales et économiques
de notre existence. À vrai dire, lEtat na jamais
été à la hauteur du « faire » de notre
peuple dans les branches les plus variées du grand arbre de la
création symbolique brésilienne.
Il nous faut donc avoir de lhumilité. Mais, en même
temps, lEtat ne doit pas cesser dagir. Il ne doit pas opter
pour lomission. Il ne doit pas décharger ses épaules
de la responsabilité vis-à-vis de la formulation et de
lexécution de politiques publiques en pariant sur des mesures
fiscales et en livrant ainsi la politique culturelle aux vents, aux
goûts et aux caprices du dieu-marché. Il est clair que
les lois et les mécanismes dincitation fiscale sont de
la plus grande importance. Mais le marché nest pas tout.
Il ne le sera jamais. Nous savons bien quen matière de
culture, comme pour la santé et léducation, il faut
examiner et corriger les distorsions inhérentes à la logique
du marché, laquelle est toujours régie, en dernière
analyse, par la loi du plus fort. Nous savons quil faut, souvent,
aller au-delà du résultat immédiat, dune
vision à courte vue, de létroitesse desprit,
des insuffisances et même de lignorance des agents du marché.
Nous savons quil faut remédier à nos grandes carences
fondamentales. (
)
Je pense, par ailleurs, que le président Lula a raison de dire
quil ne faut pas mettre la vague actuelle de violence, qui menace
de détruire les valeurs essentielles de formation de notre peuple,
seulement sur le compte de la pauvreté. (
)
Nous avons toujours eu de la pauvreté au Brésil, mais
jamais la violence ne fut aussi grande quaujourdhui. Et
cette violence vient des inégalités sociales. Alors même
que nous savons que ce qui a augmenté au Brésil durant
ces dernières décennies, ce ne fut pas exactement la pauvreté
ou la misère. Même si la pauvreté a un peu diminué,
comme le montrent les statistiques. Mais, en même temps, le Brésil
est devenu un des pays les plus inégalitaires du monde. Un pays
qui possède peut-être la pire répartition des revenus
sur la planète. Et cest ce scandale social qui explique,
à la base, le caractère que la violence urbaine a atteint
récemment parmi nous, jusquà submerger même
les valeurs de lancien banditisme brésilien.
Ou le Brésil en finira avec la violence ou la violence en finira
avec le Brésil. Le Brésil ne peut continuer à être
synonyme dune aventure généreuse mais sans cesse
interrompue. Ou dune aventure solidaire de façon purement
nominale. Il ne peut continuer à être, comme le disait
Oswald de Andrade, un pays desclaves qui craignent dêtre
des hommes libres. Il nous faut achever la construction de la nation.
Incorporer les secteurs exclus. Réduire les inégalités
qui nous tourmentent. Sinon nous ne pourrons récupérer
notre dignité à lintérieur ni nous affirmer
pleinement dans le monde. Comment soutenir le message que nous avons
à donner à la planète en tant que nation qui sest
donné lidéal le plus élevé quune
collectivité puisse se proposer à elle-même : idéal
de convivialité et de tolérance, de coexistence dêtres
et de langages multiples et divers, de vie commune dans la différence
et même la contradiction. Et la fonction de la culture, dans ce
processus, nest pas seulement tactique ou stratégique;
il est central : contribuer objectivement à dépasser les
inégalités sociales en défendant toujours la pleine
réalisation de lhumain.
La multiplicité culturelle du Brésil est un fait. Paradoxalement,
notre unité de culture, unité de base, enveloppante et
profonde aussi. À vrai dire, nous pouvons même dire que
la diversité interne est, aujourdhui, un de nos traits
identitaires les plus évidents. Cest ce qui fait quun
habitant dune favela de Rio, lié à la samba et au
macumba, et un caboclo [métis dAfricain et dIndien]
dAmazonie, sadonnant aux carimbos et aux encantados, se
sentent et, de fait, sont également brésiliens. Comme
la bien dit Agostinho da Silva, le Brésil nest pas
le pays de ceci ou de cela mais le pays de ceci et de cela. Nous sommes
un peuple métissé qui marche au long des siècles,
créant une culture essentiellement syncrétique. Une culture
diversifiée, plurielle, mais qui est comme un verbe conjugué
par des personnes diverses, en temps et modes distincts. Et, en même
temps, cette culture est une : culture tropicale syncrétique
tissée à labri et à la lumière de
la langue portugaise. (
)
Sil y a aujourdhui deux choses qui attirent irrésistiblement
lattention, lintelligence et la sensibilité internationales
pour le Brésil, lune est lAmazonie, avec sa biodiversité
et lautre est la culture brésilienne avec sa sémiodiversité.
Le Brésil apparaît ici, avec ses diasporas et ses mélanges,
comme un émetteur de messages nouveaux dans le contexte de la
mondialisation.
En lien avec le ministère des relations extérieures, nous
avons à penser, modeler et insérer limage du Brésil
dans le monde. Nous avons à nous positionner stratégiquement
dans le champ magnétique du gouvernement Lula avec son enthousiasme
pour laffirmation de limportance du Brésil sur la
scène internationale. Et surtout, nous devons savoir quel message
le Brésil, en tant quexemple de vie commune entre gens
opposés et de patience avec lautre différent, doit
donner au monde en un moment où discours féroces et standards
belliqueux se font entendre sur la planète. Nous savons que les
guerres sont provoquées presque toujours par des intérêts
économiques. Mais pas seulement. Elles se dessinent aussi dans
les sphères de lintolérance et du fanatisme. Et
ici, le Brésil peut donner des leçons contrairement à
ce que prétendent certains représentants dinstitutions
internationales. (
)
Ici, ce sera un espace pour expérimenter de nouvelles directions.
Lespace ouvert à la créativité populaire
et aux nouveaux langages. Lespace disponible pour laventure
et laudace. Lespace de la mémoire et de linvention...
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