Le rôle joué par les Etats-Unis en Amérique
latine au nom de la défense de leurs intérêts
sur le continent latino-américain nest pas nouveau. La
fin de la « guerre froide » et de la « menace communiste
» na pas entraîné une mise à distance.
Les justifications évoquées depuis lors ont été
celles de la lutte contre la drogue et, plus récemment, de
la lutte antiterroriste. Ainsi, les Etats-Unis disposent aujourdhui
dun nombre estimable de bases militaires réparties en
différents lieux de lAmérique latine. Des visées
économiques liées à la présence dimportantes
réserves deau, de pétrole, de gaz et une biodiversité
dune valeur instimable sont inséparables des visées
militaires.
Article de Maria Luisa Mendonça, paru dans ALAI/America
latina en movimiento, 20 juillet 2004.
Renforcer la domination économique
et militaire sur lAmérique latine a été lune
des priorités du gouvernement des Etats-Unis. Le processus croissant
de militarisation du continent a pour objectif dassurer le contrôle
des ressources naturelles et de maintenir la dépendance économique
des pays latino-américains.
Après les attentats de New York et de Washington, le 11 septembre
2001, le gouvernement de Georges Bush a accéléré
son escalade militaire dans le monde entier. En Amérique latine,
la stratégie des Etats-Unis implique linstallation de nouvelles
bases militaires et le renforcement des bases déjà existantes,
la formation des militaires latino-américains, les ventes darmes,
linstallation de systèmes de surveillance et despionnage
et lappui à de mégaprojets énergétiques
et dinfrastructure pour lexploitation des ressources naturelles.
Cette politique vise à défendre les intérêts
des grandes entreprises et à sassurer principalement du
contrôle du pétrole, de leau et de la biodiversité.
En Amérique latine, les Etats-Unis intensifient linstallation
des bases militaires comme cest le cas de Manta (Equateur), Tres
Esquinas y Leticia (Colombie), Iquitos (Pérou), Reina Beatrix
(Aruba), Hato (Curaçao) et Comalapa (El Salvador). Ces bases
complètent lencerclement du continent par les Etats-Unis,
qui inclut également des bases militaires à Porto Rico
(Vieques), Cuba (Guantanamo) et Honduras (Soto de Cano). Les Etats-Unis
veulent construire 9 bases militaires en Argentine (Terre de Feu) et
contrôler également la base dAlcántara au
Brésil.
Le gouvernement de Georges Bush utilise comme prétexte la nécessité
de « combattre le terrorisme » pour justifier ses interventions
sur le continent. En avril de cette année, le général
James Hill, responsable du Commandement Sud (secteur de larmée
des Etats-Unis qui agit en Amérique latine), a demandé
au Congrès daugmenter le poste budgétaire de 800
millions de dollars pour ses activités dans 19 pays dAmérique
du Sud et dAmérique centrale et dans 12 pays des Caraïbes.
Le général Hill classe comme « terroristes traditionnels
» des groupes guérilleros et des trafiquants de drogue
en Colombie, et comme « groupes émergents »
ceux quil considère comme des « populistes radicaux
qui profitent de la frustration profonde due à léchec
de réformes démocratiques ». Dans cette catégorie
seraient inclus le président du Venezuela, Hugo Chávez
et le député bolivien Evo Morales.
En 2003, le budget militaire des Etats-Unis a atteint 417 milliards
de dollars, ce qui représente 47 % des dépenses militaires
mondiales. Ce chiffre manifeste une augmentation de 11 % par rapport
à 2002.
Le comportement de ladministration de G. Bush dans les institutions
multilatérales reflète sa politique descalade militaire.
Le gouvernement de G. Bush a refusé la Convention sur les armes
biologiques et, en même temps, a fait des essais illégaux
avec ces armes, sans compter le refus de laisser des inspecteurs accéder
aux laboratoires. Les Etats-Unis ont refusé également
le Traité sur les missiles antibalistiques, la Convention de
lONU sur la torture (pour éviter des enquêtes sur
les tortures pratiquées sur les prisonniers dans la base de Guantánamo),
et il entend violer le Traité contre les essais nucléaires.
Le processus de militarisation dans le continent a engendré laugmentation
des violations des droits humains et de la répression des mouvements
sociaux, le déplacement et la migration forcée de millions
de personnes, la destruction de lenvironnement, la perte de la
souveraineté et de lautodétermination des peuples.
La base dAlcántara
En 2003, le gouvernement brésilien a décidé de
suspendre le vote de la Chambre des députés sur laccord
qui permettait lutilisation de la base dAlcántara
par les Etats-Unis. Pendant ladministration de Fernando Henrique
Cardoso, le projet avait été approuvé par la Commission
des sciences et de la technologie, et refusé par la Commission
des relations extérieures. Après lélection
de Luiz Inácio Lula da Silva, le projet est resté gelé
à la Commission de la constitution et de la justice, ce qui signifie
la suspension de son passage au Congrès national.
Cette décision a été le résultat dune
grande mobilisation au niveau national et continental, impulsée
par la campagne contre lALCA (Accord de libre commerce des Amériques),
et de la résistance des communautés quilombos [communautés
noires, formées de descendants desclaves] à
Alcántara. Le plébiscite populaire sur le traité
comprenait une question sur le contrôle de la base dAlcántara
par les Etats-Unis, ce qui a été refusé par plus
de 10 millions de votants.
Laccord sur la base dAlcántara comprenait diverses
obligations pour le Brésil et aucune pour les Etats-Unis, sans
compter latteinte à la souveraineté nationale sous
différents aspects. Par exemple, les Etats-Unis pourraient délimiter
des surfaces restreintes, auxquelles seuls auraient librement accès
les officiers nord-américains ; le gouvernement brésilien
se verrait interdire la vérification du contenu des matériels
reçus ou envoyés des Etats-Unis, et en cas daccident,
le gouvernement brésilien ne pourrait pas inspecter le matériel
recueilli.
Laccord aurait permis lusage commercial des installations
du Centre de lancement dAlcántara et son exploitation prioritaire
par le secteur privé. Ceci contredit largument utilisé
au départ pour lexpropriation de ce terrain - et lexpulsion
de dizaines de communautés quilombos -, qui faisait appel au
développement de la technologie spatiale brésilienne,
et donc à lintérêt public.
La région dAlcántara est considérée
comme une des portes dentrée vers lAmazonie brésilienne,
habitée par des quilombos, communautés noires traditionnelles
ayant leurs cultures, leurs modes de production et leurs règles
internes particulières. Limportance historique de ces communautés
est telle que la constitution brésilienne a reconnu leur droit
à leur territoire. Cependant, linstallation du Centre de
lancement dAlcántara dans les années 70 par le régime
militaire a provoqué lexpulsion de leurs terres de dizaines
de communautés quilombos. Dans le cas où la base dAlcántara
reviendrait à être utilisée, le déplacement
de la majorité de ses communautés est prévu.
Formation militaire
La stratégie du gouvernement des Etats-Unis inclut la formation
des militaires latino-américains, comme dans le cas de lOpération
Cabañas, réalisée en Argentine en 2001, avec la
participation de 1 500 officiers des Etats-Unis, Chili, Brésil,
Bolivie, Equateur, Paraguay, Pérou et Uruguay.
Selon des documents du gouvernement argentin, lobjectif de cette
formation serait de créer un
« commandement militaire unifié » pour combattre
« le terrorisme en Colombie, en plus du champ de bataille composé
par des civils, des organisations non gouvernementales et des agresseurs
potentiels ». La presse des Etats-Unis collabore à
ce processus. Par exemple, un article du 23 octobre 2002, publié
dans le journal Miami Herald, défend la nécessité
de créer une force militaire sud-américaine pour lutter
contre la guérilla en Colombie et pour « combattre des
menaces internes analogues dans le futur ».
Lautorisation pour lentrée des troupes états-uniennes
en Amérique latine implique des garanties dimmunité
diplomatique, ce qui signifie que des soldats nord-américains
suspectés de crimes et de violations de droits humains ne pourraient
pas être jugés dans les pays latino-américains.
En 2003, une grande mobilisation en Argentine a empêché
la réalisation de manuvres dentraînement militaire
appelés « Aguilas III ». Cependant, ces manuvres
seront réalisées au Pérou, sous commandement des
Etats-Unis et avec la participation de militaires latino-américains.
Une des régions prioritaires pour la réalisation de ce
commandement est la Triple Frontière entre le Brésil,
le Paraguay et lArgentine. Selon le périodique Misiones
On Line, en décembre 2002, le coordinateur de la campagne
antiterroriste du département dEtat, J. Cofer Black, a
organisé une réunion à Puerto Iguazú avec
des représentants des gouvernements du Brésil, Paraguay
et Argentine, et il a fait savoir que « les Etats-Unis destineraient
1 million de dollars à la Triple Frontière, pour enquêter
sur les liens avec terrorisme ».
Dans une entrevue avec la revue Carta Capital, lancien
chef du FBI au Brésil, Carlos Alberto Costa, a reconnu que lexistence
dactivités terroristes à la Triple Frontière
na jamais été prouvée. « Nous avons
fait des recherches exhaustives, nous, la CIA, les services secrets
des pays, et nous ne sommes pas parvenus à prouver lexistence
de cellules terroristes ici. » Cependant, des organisations
locales dénoncent la présence dagents nord-américains
qui patrouillent dans des lieux stratégiques comme les fleuves
de la région.
Ceci doit être la raison principale de la présence des
Etats-Unis, car à la Triple Frontière est localisé
lAcuífero Guaraní [nappe aquifère Guaraní],
considéré comme la plus grande réserve deau
douce du monde, avec 1,2 million de kilomètres carrés.
Récemment, la Banque mondiale et lOrganisation des Etats
américains (OEA) ont créé le « Projet de
protection environnementale et de gestion soutenable de lAcuífero
Guaraní » avec un budget de 27 millions de dollars. Le
principal objectif du projet, qui interdit la participation des universités
et qui devrait être exécuté par des entreprises
étrangères, est détudier les modalités
dutilisation de leau et du potentiel énergétique
de la région.
La présence militaire en ce lieu a été dénoncée
par des organisations sociales et de droits humains. Les interventions
militaires récentes des Etats-Unis en Irak et Afganistan, de
même que leurs tentatives dexercer une influence politique
en Bolivie et au Venezuela, ont aussi pour objectif le contrôle
des ressources naturelles comme le pétrole et le gaz naturel.
Une autre forme de contrôle de la part des Etats-Unis est linstallation
de mécanismes comme le Système de surveillance de lAmazonie
(SIVAM), un projet de 1,4 milliard de dollars, réalisé
par lentreprise nord-américaine Raytheon, avec la capacité
de gérer 5,5 millions de kilomètres carrés.
Cette escalade militaire renforce les industries darmement nord-américaines.
Par exemple, la structure de la base de Manta, avec sa capacité
de contrôler lespace aérien sur un rayon de 400 km2,
est sous la responsabilité de lentreprise DynCorp, accusée
dêtre en lien avec la CIA. La base de Manta sera équipée
de grands Jatos E-3 Awacs, avec F-16 et F-15 Eagle, pour contrôler
la région amazonienne, le Canal de Panama et lAmérique
centrale. Dautres industries darmement et de technologie
militaire, comme Raytheon et Northop, ont augmenté leurs profits
de 50 % lan passé.
Dautre part, les Etats-Unis continuent dentraîner
des militaires latino-américains dans lEcole des Amériques
et veulent créer « lAcadémie internationale
pour laccomplissement de la loi » au Costa Rica, en vue
dinfluencer les législations et les forces policières
des pays de la région.
En 2003, lancien chef du FBI au Brésil, Carlos Alberto
Costa, a révélé linfluence des services secrets
des Etats-Unis dans le pays. « Nos agences donnent des millions
de dollars par an à la police fédérale, depuis
des années, pour des opérations vitales. Lannée
passée, la DEA (Drug Enforcement Administration) a donné
quelque 5 millions de dollars à la NAS (division des narcotiques
du Département dEtat), et a donné quelque 3 millions
à dautres agences. Les Etats-Unis ont acheté la
police fédérale. La vérité est celle-ci
: leur police fédérale [celle du Brésil] est nôtre,
elle travaille pour nous. »
Le Plan Colombie et le Plan Puebla-Panama
Les Etats-Unis renforcent également le Plan Colombie, un projet
guerrier de 1,3 milliard de dollars, une fois que le secrétaire
dEtat des Etats-Unis, Colin Powel, sest engagé pour
un montant de 731 millions de dollars pour financer la participation
de lEquateur, Bolivie et Pérou dans les opérations
militaires. Les principaux foyers de violence en Colombie, qui provoquent
lexpulsion de la population indigène et paysanne de ses
terres, coïncident avec les régions les plus riches en pétrole
et en biodiversité.
Le Plan Colombie facilite la réalisation de mégaprojets
hydroélectriques, pétrolifères et miniers, patronnés
par la Banque mondiale et par des entreprises multinationales. Plus
dun million dhectares de bois en Colombie ont déjà
été contaminés par les fumigations à base
dagents chimiques, et le nombre de déplacés atteint
les 3 millions de personnes. Au cours des vingt dernières années,
le nombre de morts a atteint le chiffre de 200 000, dont 5 000 dirigeants
de syndicats et de mouvements sociaux.
La stratégie des Etats-Unis en Amérique latine comporte
des projets dinfrastructures, comme le Plan Puebla-Panama, qui
prévoit la construction dun canal terrestre, qui unirait
le sud du Mexique à lAmérique centrale, en passant
par le Guatemala, le Belize, El Salvador, le Honduras, le Nicaragua,
Costa Rica et Panama. Cette région est riche en biodiversité
et ressources naturelles, ce qui va bien au-delà du projet qui
consiste à utiliser une main-duvre bon marché
et non syndiquée.
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