Dans
les deux dossiers qui suivent, Dial publie le document intitulé
Pourquoi le panorama religieux du Brésil a-t-il tant changé
?, rédigé par Alberto Antoniazzi et publié en
encart dans le Bulletin hebdomadaire de la Conférence nationale
des évêques brésiliens (CNBB), les 18 et 24 novembre
2004. La situation de lEglise catholique, qui connaît
une baisse réelle en pourcentage de la population brésilienne
fait lobjet de ce premier dossier, celle des Eglises évangéliques,
dont la croissance est effective, est présentée dans
le dossier suivant ainsi que la situation des « autres religions
» et des « sans-religion ». Lauteur, après
avoir fait un état précis des lieux, propose des hypothèses
explicatives des changements en cours.
Entre
1991 et 2000, le pourcentage des catholiques a baissé de 83,3%
à 73,9%, celui des évangéliques a augmenté
de 9% à 15,6%, celui des « sans-religion » est monté
de 4,7 % à 7,4 %.
Comment comprendre ce changement ? Quelle est la responsabilité
de lEglise catholique ?
Les résultats du recensement de 2000 relatifs aux religions ont
été publiés il y a pas mal de temps, mais - sauf
erreur de ma part il y eut peu de débats sur les changements
observés ni sur les causes. Quelques spéculations ou cris
dalarme ne manquèrent pas à loccasion de la
publication des données, mais leur présentation pourtant
soigneuse et efficace dans le bel Atlas da Filiação
Religiosa na pas motivé, du moins dans le cercle des
pasteurs et théologiens de lEglise catholique, une analyse
ni un débat approfondis.
La raison de ce silence est peut-être la complexité du
sujet et aussi la surprise. De fait, la diversité religieuse
au Brésil est impressionnante et une tentative de discerner les
causes des changements nest pas un travail facile. Cest
pourquoi, avec la prudence nécessaire face à ce défi,
je vais tenter de proposer quelques réflexions. Je mefforcerai,
principalement, déviter un discours vague et simpliste
pour aborder des aspects divers et selon moi importants
qui doivent être considérés.
Pour cela, à la lumière des données de lInstitut
brésilien de géographie et statistique (IBGE), de lAtlas
cité, du Centre de statistique religieuse et de recherches sociales
(CERIS) sur les structures et ressources humaines de lEglise catholique,
détudes de sociologie religieuse, jexaminerai les
diverses familles religieuses et leurs différences, les mettant
en relation - si possible - avec le contexte culturel où elles
se situent. Pour cela, je traiterai séparément des catholiques,
des évangéliques, des autres religions et des «
sans-religion ».
Je ne prétends pas, évidemment, être exhaustif ou
offrir une vision complète du phénomène. Je me
limiterai à indiquer ce qui peut aider les catholiques (mais
aussi les autres personnes intéressées) à comprendre
les changements récents que sont arrivés et continuent
de se produire.
Lexpansion géographique de la diversité religieuse
Avant daborder des thèmes spécifiques, nous allons
tenter un regard global sur le phénomène de la «
diversité religieuse ».
Le Brésil, jusquaux années 70 du XXe siècle,
paraissait un pays catholique, où la religion catholique non
seulement était celle de la majorité, mais avait presque
le monopole des croyances et attitudes religieuses. Le recensement de
1980 enregistra, pour la première fois dans lhistoire du
Brésil, un pourcentage de catholiques inférieur, quoique
de peu, à 90%. Comme on la vu, ce pourcentage a diminué
dans les recensements suivants : 83,3% en 1991 et 73,9% en 2000.
Nous avons ainsi un processus de diversification religieuse où
croissent les Eglises évangéliques (traditionnelles ou
pentecôtistes) et les « sans-religion ». Les autres
religions (spiritisme, umbanda, religions orientales, judaïsme,
islam
) stagnent depuis 1980 aux environs de 3% de la population
brésilienne. Le processus na pas la même intensité
dans tout le Brésil. En 1980, lunique Etat ayant un indice
élevé de diversité religieuse est celui du Rondônia.
Les autres régions du Nord du pays (lAmazonie) montrent
aussi une tendance, quoique commençante, dans le sens dune
diversification. Aux catholiques sajoutent spécialement
les évangéliques pentecôtistes. Dans tous ces cas,
nous sommes devant une population qui comporte un nombre important de
migrants, qui viennent occuper des zones du territoire national encore
en friche.

Une
tendance à la diversification religieuse apparaît aussi
dans une région différente, celle des Etats dEspírito
Santo et de Rio de Janeiro. Ici la diversification paraît liée
aux Eglises évangéliques plus traditionnelles (y compris
un nombre significatif de luthériens, descendants dimmigrants
allemands, dans lEspirito Santo) et à son expansion dans
les régions proches (par exemple Governador Valadares dans lEtat
du Minais Gerais).
Les cartes de 1991 et 2000 confirment les tendances de 1980. Le Rondônia
et lAmazonie présentent lindice le plus élevé
de diversification religieuse et la diversité caractéristique
des Etats de Rio et dEspírito Santo pénètre
plus au nord (au sud de l'Etat de Bahia) et sétend par
le littoral brésilien au sud (São Paulo et Paraná).
En 2000, la diversité religieuse se manifeste dans les grandes
métropoles, spécialement par laccroissement du nombre
des pentecôtistes et des « sans religion ». En général,
la diversité religieuse tend à devenir une réalité
commune à tout le Brésil, à lexception de
trois régions: le Sertão du Nordeste ; lintérieur
du Minais Gerais ; lintérieur du Paraná, Santa Catarina
et Rio Grande do Sul. (
)
Force et faiblesse de la présence catholique
Lévidence de la diversité des situations apparaît
en premier lieu quand on compare le pourcentage de catholiques par Etat.
Selon le recensement de 2000, il y avait des Etats « plus catholiques
» et dautres qui létaient moins. Voici la classification
respective :
Etats ayant le plus fort pourcentage de catholiques :
Piauí : 91,3%
Ceará : 84,9%
Paraíba : 84,2%
Maranhão : 83%
Minas Gerais : 78,8%
De même au sud de Santa Catarina et au nord du Rio Grande do Sul
il y a plus de 85% de catholiques.
Etats ayant le plus faible pourcentage de catholiques :
Rio de Janeiro : 57,2%
Rondônia : 57,5%
Espíritu Santo : 60,9%
La carte du catholicisme
Comme on le voit, les différences sont actuellement très
expressives. Mais une étude plus détaillée des
cartes donne dautres indications précieuses. Par exemple,
le Nordeste qui présente lindice le plus élevé
de catholiques, au moins dans les quatre Etats cités plus haut,
présente en réalité des pourcentages très
élevés dans lintérieur, dans le sertão,
et des pourcentages faibles sur le littoral, de Recife au sud de Bahia.
Ceci suggère (et lhistoire me semble le confirmer) que
nous sommes devant deux (ou plus ?) situations religieuses et culturelles
bien différentes : le catholicisme de lintérieur
a un caractère plus pénitentiel et a été
marqué par les missions populaires des capucins, franciscains
et autres religieux depuis le XVIIe siècle ; le littoral conserve
un catholicisme plus festif, lié à la dévotion
aux saints, mais moins austère et même assez libéral
en matière de coutumes. Et dans les villes du littoral des tendances
peu disposées à accepter la hiérarchie ecclésiastique
se manifestèrent dès le XVIIIe siècle, révélant
un sens critique propre à qui vit dans un milieu où il
y a davantage de possibilités de choix. En ce cas, les racines
de la situation actuelle sétablissent dans un contexte
historique très ancien, antérieur à leffort
modernisateur et romanisant de lEglise catholique de la seconde
moitié du XIXe et dune bonne partie du XXe siècle.
On a observé que le catholicisme de lintérieur du
Nordeste est inséré dans une population pauvre et de faible
scolarité. Mais il est certain que lexplication de la persistance
et de la vigueur du catholicisme local ne se réduit pas à
ces facteurs. Lautre noyau fort du catholicisme est constitué
par le sud de Santa Catarina et le nord de Rio Grande do Sul (des zones
de bon niveau de scolarisation et de revenus). Cest là
quon trouve très peu de pertes de fidèles et même
des zones où les catholiques nont pas du tout diminué
entre 1991 et 2000.
Les points les plus faibles de la carte catholique
Tournons maintenant notre attention vers les points faibles du catholicisme
au Brésil. Les pourcentages par Etat ont révélé
trois situations graves : Rio de Janeiro, Rondônia et Espíritu
Santo. Elles conduisent à une réflexion plus générale
: elles indiquent que des zones dimmigration et doccupation
récente (comme le Rondônia et diverses zones du Nord et
Centre-Ouest) et des métropoles (comme Rio de Janeiro, mais aussi
São Paulo, Belo Horizonte, Salvador, Recife
) sont les plus
problématiques pour les catholiques. En ce qui concerne les métropoles,
il ne suffit pas de considérer les chiffres des capitales. Il
faut regarder principalement du côté des communes de la
couronne métropolitaine qui, durant les derniers 10-20 ans, ont
grandi énormément en population, tandis que les capitales
avaient une croissance inférieure à la moyenne nationale.
(
)
Mouvements de population et comportement de lEglise catholique.
Nous avons étudié les points faibles (du point de vue
géographique ou territorial) de lEglise catholique au Brésil.
Nous allons en chercher les causes. Elle sont certainement nombreuses
et complexes, mais cela navance guère de mettre le doigt
sur les changements culturels de caractère général
(modernisation, sécularisation, individualisme, subjectivisme,
relativisme, hédonisme
)
Ces changements affectent toutes les religions, mais, comme nous lavons
vu, la capacité de leur résister ou den profiter
est très différente dune religion à lautre.
Au sujet des catholiques, nous nous limitons à considérer
deux facteurs bien concret : dun côté, la possible
influence des migrations ou des mouvements de population au Brésil
qui paraissent contribuer à fragiliser le catholicisme ; de lautre,
la réponse institutionnelle ou mieux, leffort fait (ou
non) par lEglise pour mieux prendre en compte les populations
récemment arrivées dans les régions de peuplement
récent ou dans la périphérie des grandes métropoles.
(
)
Paraná
et Rondônia : deux pôles
Nous commençons par un exemple qui paraît assez significatif.
Le Paraná a eu un rythme de croissance démographique différent
du reste du pays. Après une forte croissance entre 1960 et 1970
(+63%), attirant un fort flux migratoire de lextérieur,
sa croissance sest réduite à des niveaux très
bas à partir de 1970 et il est devenu exportateur de «
main-duvre » :
Augmentation
en pourcentage de la population
Périodes
|
1970-1980
|
1980-1991
|
1991-2000
|
Paraná
|
10,7%
|
8,9%
|
13,2%
|
Brésil
|
28,2%
|
21,3%
|
15,4%
|
On sait quun bon nombre dhabitants du Paraná alla
au Rondônia dont lévolution démographique
fut la suivante
Population Rondônia
|
Indice de croissance de la population
|
Population
|
En 1960
|
1961-1970
|
1971-1980
|
1981-1991
|
1992-2000
|
En 2000
|
71 000
|
+64,8%
|
+329,9%
|
+124,8%
|
+21,8%
|
1 378 000
|
Dans la même période, les paroisses catholiques passèrent
de 5 à 68 (augmentation de 1 360% tandis que la population croissait
de 1 840%). La population par paroisse passa de 14 200 habitants à
20 300 habitants (peu au-dessus de la moyenne nationale de 19 324 habitants).
Au Paraná, dans la même période, le nombre dhabitants
par paroisse passa de 18 100 (en 1960) à 13 000 (en 2000), un
chiffre bien inférieur à la moyenne nationale. En dautres
termes, le Rondônia sest dégradé dans la même
proportion que le Paraná sest amélioré.
Une donnée complémentaire : en comparant les données
de lAnuario Católico de 1977 avec les données
de 2000, pour le diocèse de Porto Velho (capitale du Rondônia)
nous avons, en 1977, 33 prêtres pour 112 208 habitants (moyenne
de 3 400 habitants par prêtre) ; en 2000, nous avons 42 prêtres
(augmentation de 27%) et 496 755 habitants (moyenne de 11 827 habitants
par prêtre ; augmentation de 342%). La dégradation de la
présence pastorale de lEglise catholique en Rondônia
dans cette période est évidente. (
)
Les régions métropolitaines comportant plusieurs diocèses
La situation du catholicisme est particulièrement fragilisée
dans lEtat de Rio de Janeiro et dans la région métropolitaine
du Grand Rio. Il est intéressant dobserver que larchidiocèse
a conservé seulement la commune de Rio de Janeiro. Sa croissance
démographique a été relativement lente : 4 316
978 habitants en 1970 ; 5 090 723 en 1980 ; 5 480 767 en 1991 ; 5 857
904 en 2000 (au total, une augmentation de 35,7%, alors que le Brésil
croissait en moyenne de 79,5%). En 2000, dans la commune de Rio de Janeiro,
60,71% des habitants se déclaraient catholiques. Larchidiocèse
comptait 542 prêtres (moyenne : un prêtre pour 10 330 habitants)
et 240 paroisses (moyenne de 24 408 habitants par paroisse).
Très différente est lévolution des diocèses
voisins [Duque de Caxias et Nova Iguaçu] (
)
Diocèses
|
Nombre de paroisses
|
|
Nombre de prêtres
|
Nombre habitants
par prêtres
|
Duque de Caxias
|
19
|
64 470
|
32
|
38 279
|
Nova Iguaçu
|
43
|
40 803
|
69
|
25 428
|
Rio de Janeiro
|
240
|
24 408
|
542
|
10 330
|
On peut conclure que la population des diocèses de Duque de Caxias
et Nova Iguaçu, au contraire des autres communes des régions
métropolitaines, ont peu augmenté (dans la période
1980-2000). Même ainsi, le développement institutionnel
a été inadéquat et la disponibilité dagents
pastoraux (au moins de prêtres diocésains et religieux)
a été insuffisante comme on peut le constater dans le
tableau suivant. Tout cela suggéré que lEglise catholique
doit mieux répartir ses ressources.
[Larticle poursuit en étudiant dans le détail
la situation de nombreux autres diocèses ou métropoles,
que nous ne pouvons pas reproduire ici.]
Une hypothèse : seuls les catholiques pratiquants sont pris
en compte
Il faut formuler une nouvelle hypothèse explicative. Nous lavons
déjà fait à lAssemblée générale
de la Conférence nationale des évêques du Brésil
(CNBB), en analysant les défis pastoraux de lEglise catholique
au Brésil : « Restent, malgré tout, de graves
problèmes : 1°) la taille des paroisses urbaines qui est
au-dessus (en quelques capitales très au-dessus) de la moyenne
nationale, elle-même déjà élevée [
]
». Et jajoutais : Dans cette situation, « nous
courons le risque davoir une attention insuffisante au peuple
et un épuisement prématuré des forces physiques
et spirituelles du prêtre. Il faut, de plus, observer que le nombre
des catholiques pratiquants qui demeurent, même dans les métropoles,
et qui peuvent être 20-30% du total des catholiques, est suffisant
pour créer une illusion doptique et conduire à des
conclusions pastorales équivoques. Quand le curé doit
soccuper de plusieurs milliers de catholiques pratiquants, sans
compter les autres qui demandent certains sacrements comme le mariage
pour eux-mêmes ou le baptême pour leurs enfants, le travail
pastoral de routine (spécialement ladministration des sacrements)
devient si pesant quil empêche le curé de se préoccuper
des nouvelles exigences de son public potentiel. Pire : le curé
est tenté de récuser toute nouveauté dans laction
pastorale, parce quil ne peut porter plus de travail et particulièrement
leffort épuisant pour affronter la nouveauté, linconnu
qui exige plus de préparation et souvent la patience de lapprentissage
sur la base du « essai et erreur ». Dans une société
en rapide changement où il y a nécessité dentreprises
innovantes, le travail pastoral court le risque dune perte de
qualité. »
Ces considérations suggèrent que nos curés, même
les plus dévoués, ne peuvent pas accompagner, sinon de
façon précaire, la masse des catholiques qui ne pratiquent
pas régulièrement et qui maintiennent seulement des contacts
sporadiques avec la communauté ecclésiale. Ceci faciliterait
lexode de catholiques traditionnels vers dautres Eglises
ou religions.
Conclusion
Bien que notre analyse soit loin dêtre exhaustive, nous
croyons avoir montré que la diminution du pourcentage des catholiques
est associé à laccroissement rapide de la population
(migrations !) et à la lenteur ou à linsuffisance
de la réponse pastorale de lEglise à ce phénomène
démographique. Une étude plus approfondie sera possible
dans un avenir proche. Il serait prématuré de conclure
maintenant en termes définitifs, mais létude des
faits semble suggérer que souvent ce ne sont pas les fidèles
qui ont abandonné lEglise mais que cest elle qui
a laissé dimportants groupes de population sans laccompagnement
pastoral qui leur était dû.
Létude des Eglises évangéliques et des autres
religions [cf. le dossier suivant de Dial] confirmera que lexpansion
dune religion est liée à son dynamisme, à
sa capacité de mobilisation et à sa stratégie dévangélisation.
.
Traduction
Dial.
En cas de reproduction, mentionner la source Dial.