Les
gouvernements du Costa Rica, dEl Salvador, du Guatemala et du
Honduras ont signé un Accord de libre- échange avec
les Etats-Unis en mai 2004, auquel sest joint la République
Dominicaine en août 2004. Pour entrer en vigueur, lAccord
doit être ratifié par les parlements nationaux. La ratification
a déjà eu lieu au Guatemala, au Honduras et en El Salvador.
Aux Etats-Unis, où lAccord rencontre de nombreuses oppositions,
le Sénat a ratifié le texte le 30 juin, par 54 voix
contre 45, mais la Chambre des représentants, où le
projet na pas la majorité, ne sest pas encore prononcé.
Le Nicaragua et le Costa Rica doivent eux aussi se prononcer dans
les mois qui viennent. Dans cet article publié par Envío
en avril 2005, Peter Marchetti et René Mendoza, chercheurs
à lUniversité Rafael Landívar (Guatemala)
replacent lAccord dans un contexte historique plus large et
proposent des perspectives sur le futur de la région.
Le
traité de libre-échange (TLC) entre lAmérique
centrale et les Etats-Unis [DR-CAFTA pour ses sigles en anglais, mis
pour Dominican Republic-Central America Free Trade Agreement]
est présenté par ses défenseurs et par ses détracteurs
comme une ligne de partage bien tranchée entre le passé
et lavenir dans notre région. Il y aura selon eux un «
avant » et un « après » TLC, dont ils évoquent
les incidences sociales, environnementales, économiques et culturelles.
Pour les uns, il se traduira par des investissements étrangers,
avec à la clé des créations massives demplois.
Pour dautres, lampleur de la misère est à
attribuer au TLC. Dautres encore nont dyeux que pour
laugmentation des exportations dans des branches comme les maquilas
de textile, où 85% de la valeur exportée correspond à
des matériaux importés et font le lien avec le TLC. On
parle de réformes de la justice, du droit du travail, de réformes
électorale, forestière
Ce seraient des réformes
de réformes parce que le TLC requiert des « lois modernes
» pour attirer linvestissement étranger.
Lélite politico-économique de la région na
que ce refrain à la bouche : le TLC sortira lAmérique
centrale de la pauvreté, il la débarrassera des dictateurs
et il lui permettra de monter dans le train du progrès et de
la démocratie. Les Etats-Unis tiennent à lAmérique
centrale le discours suivant : « Si tu nacceptes
pas ces règles, la Chine va tavaler toute crue !
»
Il y a du vrai dans tout cela et il faut reconnaître que lAmérique
centrale ne possède ni capital, ni modèle daccumulation,
quil ne lui est pas permis de participer au jeu de la concurrence
internationale, quil nexiste ni projet pour une ouverture
limitée ni solutions partielles pour générer du
capital à partir des exportations régionales. Il faut
admettre que lAmérique centrale est très éloignée
dun modèle viable.
Le TLC est la légalisation dun processus entamé
dans les années 80
Quest-ce que le TLC ? A combien se monte sa valeur ajoutée
? La réponse à ces questions ne se trouve pas dans le
texte adopté mais dans le « cadre » qui entoure le
« tableau ». Le TLC équivaut à la légalisation
dun processus entamé dans les années 80 avec les
politiques néolibérales et les ajustements structurels
partiels libéralisation du commerce, désengagement
de lEtat, privatisation qui ont contribué à
la concentration de la richesse aux mains du secteur de la société
qui est actif dans le commerce et les finances, à la généralisation
de la pauvreté et à la transformation des Etats en instruments
de léconomie transnationale. Aujourdhui, cette nouvelle
norme juridique que représente, en pratique, le TLC a déjà
valeur de loi constitutionnelle en Amérique centrale bien quil
constitue un accord révisable pour le Congrès américain.
Avec le TLC, lAmérique centrale sest inclinée
devant le cynisme des Etats-Unis
Le TLC est aussi un accord néo-protectionniste. Avec le TLC,
les Etats-Unis ont libéralisé les mesures appliquées
aux produits et secteurs dans lesquels ils sont compétitifs ou
quils subventionnent largement, et ils ont protégé
au moyen de contingents, de lois antidumping peu crédibles sur
la scène internationale, de droits de douane et de mesures non
douanières tous leurs produits et secteurs qui ne sont pas compétitifs.
En Amérique centrale, les producteurs de maïs et de produits
laitiers, qui peuvent concurrencer les farmers américains, nobtiennent
avec le TLC que linstitutionnalisation des obstacles de toujours,
à savoir les subventions et les barrières non tarifaires.
Tel est le grand paradoxe que lon observe en ces temps de «
libre » échange : les producteurs de maïs dAmérique
centrale désirent commercer librement pour concurrencer les producteurs
américains, mais les gouvernements et les transnationales
qui partagent la distribution du maïs américain les
en empêchent. Ils leur enlèvent la possibilité de
toute concurrence, sans cesser de prêcher la liberté et
la nécessité de réformer les règles institutionnelles.
Comment en est-on arrivé là ? Depuis des années,
les gouvernements dAmérique centrale sabstiennent
de résister aux politiques néo-protectionnistes parce
quils reçoivent des « dons de céréales »
Et le gouvernement américain justifie précisément
par ces « dons » sa politique de dumping sous la forme dintervention
sur le marché et de subventions. Ce cynisme des Etats-Unis est
désormais dépassé avec le TLC qui le consacre comme
politique officielle des gouvernements dAmérique centrale.
Les « caudillos » seront transnationaux
Le TLC nest pas le libre-échange. Cest un système
de libération de linvestissement étranger. La vieille
élite coloniale, toujours au cur des Etats dAmérique
centrale, est devenue encore plus vorace au cours des deux dernières
décennies, détruisant en outre les frontières nationales.
Sans parler de la déréglementation quimplique le
TLC, les Etats doivent désormais accorder des subventions et
garantir la sécurité aux transnationales par le biais
dexonérations fiscales et dinvestissements dans linfrastructure.
Ils doivent également leur fournir des aménagements juridiques
pour leur éviter, par exemple, des actions en justice de la part
des travailleurs ce qui a pour effet dalourdir sensiblement
la charge fiscale des secteurs les plus pauvres de la région
, et remettre des services publics tels que leau potable,
la sécurité sociale, léducation, la poste
ou les musées, aux transnationales, qui sont dorénavant
chargées de « veiller au bien-être de la société
». Les Etats dAmérique centrale ont toujours freiné
les initiatives des petites et moyennes entreprises rurales et urbaines,
tant et si bien que le leader paysan Wilson Campos sexclamait :
« On ne nous laisse même pas être paysans ! ».
Ils subventionnaient en revanche les transnationales avec les impôts
prélevés sur les secteurs ruraux et urbains nationaux.
Et cela ne va aller quen empirant. Maintenant les caudillos ne
seront plus nationaux, mais transnationaux.
Homme dynamique, femme passive
Au fond, le TLC signifie ni plus ni moins que la légalisation
et lapprofondissement dun processus vieux de plusieurs décennies,
voire de plusieurs siècles. Les mouvements favorables ou opposés
au TLC ne tiennent pas compte de cette réalité et produisent
un discours qui affaiblit le peuple et le laisse désemparé.
Ils présentent le TLC comme une conséquence de la mondialisation,
outre quils donnent de la mondialisation limage dun
homme dynamique, triomphant et décidé, et de la société
dAmérique centrale limage dune femme, indigène,
victime passive et immobile, qui doit tenter dattirer cet homme
et se livrer à lui. A travers ces verres déformants, ils
voient dans les communautés rurales des espaces figés
dans le temps, qui ne changeront quavec larrivée
de McDonald. Face une telle imagerie, les élites samusent
et les pauvres crient : Non au libre-échange !
Faux-semblants : « notre pays » et « notre souveraineté
»
Perdre de vue que le TLC est laboutissement dun long processus
historique, cest se laisser abuser par lapparente territorialité
de cet accord. Les ministres évoquent les avantages obtenus par
« notre pays » et les mouvements dopposition
au TCL affirment que la « souveraineté » est menacée.
Mais ce sont les élites cachées dans nos Etats nationaux
aujourdhui alliées aux transnationales qui
emploient de tels discours et utilisent ces Etats. A qui tous ceux qui
approuvent ou combattent le TLC font-ils du tort ou à qui rendent-ils
service ?
Il faut aussi se rappeler que la Zone de libre-échange des Amériques
(ALCA, en espagnol) a son origine dans les intérêts fondamentaux
des Etats-Unis, lesquels nont jamais pris position en faveur des
majorités pauvres de lAmérique latine. Ils nont
jamais questionné les subventions octroyées au secteur
agricole ni la protection de leur marché du travail et ils ne
se sont jamais préoccupés des immigrants latino-américains
ni des bas salaires versés pour des emplois illégaux.
En Amérique latine, la logique des Etats-Unis trouve un écho
dans de petits segments du secteur privé très influents
au sein des gouvernements, ce qui explique lapprobation du TLC
et de lALCA. Ces segments sont ceux des maquilas étrangères
et des importateurs. Ce sont les dénommés « entrepreneurs
modernes pro-ALCA ». Ils représentent le capital du commerce
de limportation et le capital latino-américain qui sest
associé aux consortiums transnationaux de services, de maquilas,
ou directement aux entreprises transnationales.
Quelle est la clé que nous cherchons ?
Cest lhistoire dune dame qui sapproche dun
ivrogne en train de chercher quelque chose à la lumière
dun lampadaire. « Vous avez perdu quelque chose, Monsieur
? » « Oui, lui répond lhomme, jai
perdu ma clé. » « Mais vous êtes sûr
de lavoir perdue ici ? » Et livrogne de lui répondre :
« Je suis sûr de lavoir perdue là-bas, mais
là-bas il ny a pas de lumière. »
Quelle est la clé que nous cherchons ? Sil sagit
de combattre la pauvreté, la mesure la plus efficace du monde
est déliminer les subventions agricoles aux Etats-Unis,
au Japon et en Europe, où les marchés agricoles sont les
moins libres, les plus protégés et les plus subventionnés
de la planète.
370 milliards de dollars de subventions sont dépensés
chaque année dans ce secteur. Cest la raison pour laquelle
les coupeurs de canne du Nicaragua et de Bolivie voient leurs salaires
baisser, que les champs de coton disparaissent en Amérique centrale
et au Paraguay, que les cours du riz seffondrent, que les marchés
du maïs et des haricots connaissent une crise, et que les prix
de la viande stagnent en Amérique centrale. Sans ces subventions,
les pays du Sud augmenteraient leur chiffre daffaires et leur
productivité agricoles, les pressions justifiées en faveur
dune réforme agraire sintensifieraient et, par conséquent,
la pauvreté reculerait sensiblement partout dans le monde. Le
secteur énergétique est lui aussi pris dans la même
logique des subventions, et les subventions directes à lextraction
pétrolière dépassent les subventions du secteur
agro-alimentaire.
Les axes de la lutte : les impôts et les subventions
La lutte des pauvres pour les pauvres est actuellement dominée
par deux thèmes centraux : les impôts et les subventions.
Le mouvement dopposition aux subventions est déjà
engagé. Mais les mouvements en faveur de linstauration
de régimes fiscaux progressistes dans nos pays ont été
masqués par les manifestations contre le néolibéralisme
et contre les accords de libre-échange. Et il est vrai que, sans
une révision radicale des subventions comme de limpôt,
il vaut mieux ne pas protester parce quil ny a pas dissue
possible.
Lagriculture américaine, pas plus que celle du Japon ni
celle de lUnion européenne, nest viable parce que,
sans subventions, elle nest pas rentable. Cest une agriculture
écologiquement nocive et extrêmement tributaire du pétrole,
tant pour la production que pour le transport. Les subventions neutralisent
les investissements réalisés dans la production des micro-entreprises
et dans les énergies propres.
La logique qui sous-tend tout ce système est perverse :
25% de la consommation des secteurs de la société qui
accaparent 87% du revenu mondial sont liés à lautomobile.
Et il est clair que, une fois supprimées les subventions, léconomie
mondiale, telle quelle est organisée, risquerait de sécrouler
dun coup.
Les conséquences dune élimination des subventions
à la production agro-alimentaire sont plus positives pour les
pauvres et ne sont pas aussi graves que celles quentraînerait
lélimination des subventions dans le secteur énergétique.
La disparition des premières signifierait la mort des transnationales
de lagro-industrie, et provoquerait une récession mondiale.
Face à une telle réalité, il nous faut inventer
des solutions intelligentes à propos des subventions, sur la
base dune élimination progressive et toujours sélective.
Nous fixer un horizon de 30 ans
Certes, tous ceux qui sopposent au TLC ou qui exigent un TLC différent
sont dans le vrai au plan de léthique et de lefficience,
mais ils mettent lAmérique centrale et lAmérique
latine dans une position dattente dun changement aux Etats-Unis.
De ce point de vue, approuver le TLC, le rejeter ou formuler un autre
TLC revient à fétichiser cet accord et à agir comme
livrogne de lhistoire. Plutôt que de réagir
comme une ONG traditionnelle jouant le rôle du pompier lors des
crises, si nous voulons trouver « la clé »,
nous devons nous fixer un horizon de 30 ans pour comprendre le présent
et tracer de nouvelles voies qui nous mènent vers cet horizon.
Pour atteindre cet horizon, il va nous falloir tirer les enseignements
dautres expériences vécues dans le monde, nous placer
dans le contexte de la mondialisation et définir notre propre
mode daccumulation.
Les exemples de lEurope, de la Chine et de lInde
Le monde a vécu différentes formes dajustement structurel.
Les réussites les plus marquantes ont été enregistrées
en Europe, en Chine et en Inde. Toutes ont en commun le fait quelles
abritent une grande diversité de nations et de groupes ethniques.
LInde se compose de 28 Etats et sept territoires caractérisés
par une autonomie régionale très forte. Le pays compte
14 langues officielles. Seuls 30% des habitants parlent lhindi,
qui est la langue la plus courante. Quatre langues sont pratiquées
dans tous les Etats : langlais, lhindi, la langue de
lEtat et la langue locale des castes.
La Chine compte 11 groupes ethniques dans cinq régions autonomes,
avec des différences beaucoup plus profondes quentre les
nations latino-américaines. LUnion européenne rassemble
25 pays, et bientôt, 40, avec une diversité ethnique énorme.
Lexpérience de ces pays montre quune multiplication
des contacts des alliances signifie plus dautonomie
et plus didentité. Et, par conséquent, plus de dignité.
Ces pays connaissent, comme résultat de leur regroupement, une
période de croissance et de développement économique
depuis des décennies. Pourquoi lAmérique latine
et lAmérique centrale ne peuvent-elles évoluer dans
le même sens ? Pourquoi nos élites redoutent-elles la diversité
et pourquoi la fragmentation de lAmérique latine joue-t-elle
en faveur de leurs intérêts personnels et de leurs alliances
avec des entreprises transnationales ?
LALCA et lUnion européenne : différences
Il est intéressant dobserver les effets positifs engendrés
par les traités de libre-échange pendant les phases préparatoires
de lintégration à lUnion européenne
et, en particulier, les progrès sociaux et les « miracles
» économiques vécus par de petits pays dEurope
comme le Portugal ou lIrlande. Un « traité de libre-échange
amélioré » du genre des accords européens
serait le bienvenu en Amérique latine, à condition que
lintégration commerciale soit fondée sur lidentité
des pays et sur leurs ressources propres. Une sous-estimation des bienfaits
de cette expérience explique laffaiblissement des blocs
sous-régionaux (MERCOSUR, CARICOM et MCCA [Marché commun
du Sud, Communauté de pays des Caraïbes et Marché
commun de la Communauté andine]), qui ont été créés
sur le modèle dune voie nouvelle jamais sérieusement
explorée.
En quoi lALCA se différencie-t-il de lintégration
européenne ? En Europe, le processus a été progressif
et sest étendu sur 40 ans. Mais les Etats-Unis font tellement
pression pour la mise en place de lALCA que le Congrès
mexicain a signé lAccord de libre-échange nord-américain
sans avoir lu la version finale du texte. De même, le processus
dadoption du TLC de lAmérique centrale sest
déroulé à un rythme inacceptable. En revanche,
le Chili a attendu 12 ans pour adopter le TLC. Le Brésil prend
son temps tant en ce qui concerne son alliance avec le dénommé
G4 (Chine, Inde, Afrique du Sud et Brésil) que son installation
aux commandes du G29 (29 pays du Sud).
Il sy ajoute dautres différences. En Europe, les
négociations ont inclus loctroi dune aide officielle
aux pays les plus en retard et la conclusion daccords sur limmigration,
les politiques sociale, du travail et de lenvironnement, alors
que le processus de lALCA se résume à la subordination
des questions du travail, sociales et environnementales à la
logique dominante de linvestissement, du commerce et de la privatisation
des services publics. Pour cette raison, lALCA na rien dune
intégration économique.
Autre différence : en Europe, la libéralisation de linvestissement
a été précédée dune véritable
unification et assortie dun certain contrôle, tandis que,
dans le TLC, aucun contrôle nest prévu.
Aucune issue en dehors du rêve de Bolivar
Une différence capitale réside dans le fait que lobjectif
du processus européen est lunion politique, alors que cette
dimension nest même pas évoquée dans le TLC
ou lALCA.
Cela devrait pourtant un objectif pour les Latino-Américains.
La consigne ne devrait pas être de dire NON au libre-échange
mais OUI à une Amérique latine politiquement unie et structurée
en fonction des intérêts des majorités. Cette unification
nest pas un rêve impossible. Elle est plus facile que celle
de la Chine, de lInde et de lEurope. Et si nos élites
veulent maintenir cet état de différenciation et de fragmentation,
les majorités paysannes et celles de nos quartiers urbains sont
prêtes pour cette unification. A lépoque de la mondialisation,
il ny a pas dissue en dehors du rêve de Bolivar.
Le rêve possible de lintégration latino-américaine
doit tenir compte du fait que la dépendance accrue à légard
des Etats-Unis explique léchec des processus de négociation,
de solidarité et de coopération au sein du MERCOSUR, du
MMCA, du CARICOM et du Pacte andin [c'est-à-dire la Communauté
andine des nations, regroupant la Bolivie, la Colombie, lEquateur,
le Pérou et le Venezuela].
Il est facile de reprocher aux Etats-Unis de ne pas soutenir la lutte
conte les inégalités croissantes observées dans
lhémisphère. Mais il faut aussi reconnaître
que les élites du Guatemala, du Costa Rica et dEl Salvador
nont jamais renoncé à leurs intérêts
pour sortir de la misère le Nicaragua et le Honduras, les deux
pays les moins développés de la région. Et le Brésil
nen a pas fait davantage pour le Paraguay dans le MERCOSUR. Et
ce nest quaujourdhui que le Président Lula
propose une nouvelle politique en ce sens, tandis que, au Mexique, López
Obrador sannonce comme un alter ego de Lula. Ce sont le comportement
de nos élites et le néo-conservatisme de plus en plus
fort de la gauche et de la société civile dans nos pays
qui ont facilité dinstallation du « capitalisme sauvage
». Du moins jusquà aujourdhui, quand, enfin,
la gauche reprend de la vigueur.
Lunité dans la diversité : telle est la clé
Les élites de lAmérique centrale et les transnationales
nous ont imposé une interprétation de la réalité,
la leur : « On ne peut chercher que dans cette direction,
vers la lumière ». Mais tout le problème est
là : là où il y a de la lumière, il ny
a pas de clé, et là où est la clé, il ny
a pas de lumière.
Lexpérience de lEurope, de lInde et de la Chine
nous enseigne que la clé est lunité dans la diversité,
principe auquel il nous faut repenser. Les centaines de groupes ethniques
en Chine, en Inde et en Europe nont pas été un obstacle
mais un facteur de progrès qui a permis un « éveil
» durable de ces géants. Parler du Guatemala, du Nicaragua
et du Brésil comme dentités isolées relève
de plus en plus de lillusion. Ces pays ne se conçoivent
quau sein dune union latino-américaine fondée
sur les dénominateurs communs dune splendide diversité.
Quand on compare deux communautés rurales par rapport à
leur topographie, on saperçoit quelles sont différentes
sur chaque mètre de terrain. Il faut aller contre la topographie
et se tourner vers ce qui unit les diversités pour découvrir
la « clé ». Telle est le fondement de lintégration,
non pas de lhémisphère, mais de lAmérique
latine.
La « souveraineté » et les chiens de garde
La mondialisation nous montre que nous devons travailler à contre-courant
de cette topographie en nous concentrant sur des secteurs déterminés
de la société. Actuellement, cest lélite
transnationale qui, dans chacun de nos pays, utilise lEtat et
linstrumentalise au-delà des frontières tout en
continuant à parler de « pays ». Les territoires
auxquels est attachée la notion de « souveraineté
» ont été définis par les élites,
qui sont les « chiens de garde » attentifs à protéger
la propriété de leurs maîtres. Les élites
dune communauté, dune ville ou dun pays confondent
les pistes dans la recherche de la « clé » et nous
conduisent dans la mauvaise direction.
La mondialisation se traduit par la création de liens sociaux,
politiques et économiques qui font tomber les frontières
nationales. Le capital nest pas international mais mondial. LALCA
doit sentendre dans cette perspective. De même, la notion
de territoire doit être repensée sur la base des groupes
sociaux qui dépassent les frontières physiques de tout
ordre, y compris la frontière Nord-Sud. Lunion latino-américaine
doit sentendre comme intégrée à léconomie
mondiale et liée à ces groupes sociaux. Pour reprendre
la célèbre phrase de Pedro Arrupe, « nous ignorons
où nous allons, mais nous sommes sûrs des gens avec qui
nous devons y aller ». Nous devons avancer avec tous les groupes
exclus et compter sur ceux qui sont disposés à abattre
les « murs » dressés par les « chiens de garde
».
Où faut-il chercher la clé ?
LUnion latino-américaine doit se faire en prenant en compte
les groupes sociaux et en ayant pour point de départ le développement
du commerce des marchandises, laccumulation au service de la croissance
économique au moyen de la technologie et des marchés et
linstauration dalliances mutuellement bénéfiques
entre différentes entreprises.
Prenons un exemple. Les cultivateurs de café biologique de la
coopérative « La Voz » dAtitlán (Guatemala)
vendent leur production à lentreprise américaine
Elain Organic. Ce café, biologique et indigène (tzutujil),
est produit par un groupe organisé. Cela signifie quil
possède une identité ethnique, environnementale et sociale,
alors que le café produit par la majorité des paysans
à la solde du géant Nestlé na aucune identité.
Cette coopérative a réussi à améliorer le
niveau de vie des agriculteurs et celui de leur communauté. Cette
marchandise particulière, révélatrice dune
diversité de familles, revêt un sens, elle est porteuse
de vie.
Cet exemple montre en quoi une marchandise, un produit agricole, exprime
quelque chose dintangible et de singulier. Il en irait de même
si lon oeuvrait à rassembler les connaissances au lieu
de faire de la gestion-conseil. Il est urgent de travailler avec des
secteurs précis de la société, avec des êtres
humains en chair et en os, au lieu de nous « saouler » de
militantisme politique et de croire que nous allons trouver la clé
du développement à la lumière de lALCA ou
du TLC.
Ces réflexions ne doivent pas nous plonger dans la perplexité
ni nous conduire à la démission. Les structures existantes,
en tant que produit de nos sociétés, limitent mais aussi
rendent possible laction humaine. La clé pour aller contre
la topographie réside dans lexploration de pistes multiples,
riches en capital inutilisé, en potentiel humain inactif et où
se révèle la diversité nationale, pour avancer
vers lunion latino-américaine. Là est la clé.
Il sagit de la chercher.
Traduction
Dial.
En cas de reproduction, mentionner la source Dial.