Laquifère
Guaraní est une nappe deau faisant partie des plus grandes
réserves du monde. Situé dans une zone stratégique,
la Triple Frontière, il est partagé entre le Brésil,
lArgentine, le Paraguay, mais aussi lUruguay. Leau
constitue une ressource déjà rare aux Etats-Unis de
même quen Europe, en raison des zones de sécheresse
qui y sévissent. Dans un tel contexte, laquifère
Guaraní suscite de nombreuses convoitises. Article de Hinde
Pomeraniec, paru dans Clarín.com (Argentine), le 25
septembre 2005.
La
richesse dune civilisation se mesurera bientôt en litres.
On entend dire depuis quelque temps que le manque deau sera la
cause de guerres dans un avenir pas très lointain et que la possession
de cette ressource sera un trophée inestimable. Or ici, dans
le sud, au cur dune région partagée entre
quatre pays, se trouve la perle rare, laquifère Guarani,
qui non seulement passe actuellement pour être la troisième
réserve souterraine deau douce du monde mais aussi qui
pourrait être la plus grande nappe deau existant sous terre,
selon les dernières estimations. Toutes les questions alarmistes
habituelles, même les plus extravagantes, commencent à
se faire entendre. Est-ce que les gens qui nont plus deau
vont venir puiser dans le Guaraní ? Est-ce quils risquent
de nous prendre notre eau par la force ?
Situé entre les bassins des fleuves Paraná, Uruguay et
Paraguay, laquifère Guaraní couvre une superficie
denviron 1 194 000 km2. Il est divisé entre le Brésil
pour 70%, lArgentine pour 19%, le Paraguay pour 6% et lUruguay
pour 5%. Quoi quil en soit, on ignore aujourdhui son étendue
exacte; au point que lon nest pas encore parvenu à
localiser lextrémité occidentale de la réserve
au Paraguay et en Argentine, où lon pense quil sétire
au-delà de la lagune de Mar Chiquita. De même, selon les
estimations, laquifère Guaraní pourrait sétendre,
au sud, jusquaux grands lacs de la cordillère argentine.
Ses dimensions forcent ladmiration : sa superficie dépasse
celle de lEspagne, de la France et du Portugal réunis.
Avec une capacité de 55 000 km3 (sachant quun kilomètre
cube équivaut à un milliard de litres deau), cet
aquifère, bien exploité, pourrait approvisionner une population
de 720 millions dindividus à raison de 300 litres par jour
et par habitant. Pour linstant, cest un scénario
qui relève plutôt de la science fiction. « Le
problème ne tient pas à la diminution des réserves
deau, mais à ce leur emplacement et leur qualité
changent », a expliqué à Clarín lexpert
mexicain Gian Carlo Delgado, auteur de louvrage Agua y seguridad
nacional (Mondatori). Selon Delgado « dun côté
le taux de pollution de leau est élevé et, dun
autre côté, on commence à observer une redistribution
géographique des précipitations et, donc, de leau
douce ». Il est à prévoir que les zones présentant
une grande biodiversité, comme celle quabrite laquifère
Guaraní, connaîtront une augmentation ou, du moins, un
maintien des indices de précipitation et que, par conséquent,
ces « zones sont appelées à jouer un rôle
stratégique au niveau local, régional et mondial ».
annonce Delgado.
Il convient de se rappeler que, sur les 1,4 milliard de kilomètres
cubes deau que lon trouve sur la planète, seuls 2,5%
sont de leau douce, et que le reste ne peut être rendu potable
quau prix dopérations de dessalement extrêmement
coûteuses et complexes que très peu de gouvernements peuvent
se permettre. La quantité deau dans le monde double tous
les 20 ans mais nombreux sont les facteurs qui nous amènent à
nous demander si elle suffira à étancher la soif de tous
les humains : croissance démographique, utilisation irréfléchie
de la ressource dans lagriculture, exploitation incontrôlée
de cours deau, etc. Il ressort des statistiques que 85% de leau
consommée sont utilisés par 12% de la population. Nouvel
exemple dune manne inégalement répartie, encore
que, dans notre cas, cette inégalité profite à
la nature. En effet, le continent américain, qui abrite seulement
12% de la population, possède 47% des réserves deau
potable du monde.
Alors que les pays dEurope souffrent dun manque deau
et se désespèrent parce que à peine cinq de leurs
55 cours deau ne sont pas pollués, en Amérique du
Sud le problème revêt les couleurs dun spectre, celui
de la privatisation. Ici, il y a de leau, elle se voit ou, si
elle ne se voit pas, cest parce quelle passe sous terre,
mais depuis que les organisations internationales ont décrété
que leau peut être une marchandise régie par les
lois de lOMC (Organisation mondiale du commerce) et ne constitue
pas un droit de lhomme, le passage de la rivière à
la canette ou à la bouteille a des relents de dollars. Pour cette
raison, une réserve telle que laquifère, avec un
volume exploitable de 40 à 80 km3 par an, représente une
source de richesse extraordinaire pour les entreprises du secteur. Depuis
novembre 2001, la Banque mondiale, à travers le GEF (une de ses
branches, spécialisée dans lenvironnement), finance
les recherches et autres travaux visant à assurer un «
développement durable » de laquifère.
Cest à cette époque que les Etats qui partagent
le gisement confièrent à des étrangers létude
de cette ressource, ce qui, aux yeux des observateurs les plus méfiants,
revient à leur avoir servi ce trésor national sur un plateau.
Des organismes allemands et néerlandais et lONU au titre
de divers programmes participent à cette étude qui devrait
prendre fin en 2006.
« Des organisations internationales comme la Banque mondiale
cherchent à créer dans la zone du Guaraní une nouvelle
région industrielle et compétitive à léchelle
mondiale, sans se soucier de préserver laquifère
ni les intérêts réels des habitants de la région
(15 millions de personnes), a déclaré du Canada Sara
Grusky, de lONG Water for Ail du Canada. Elles ont pour seul
objectif le développement industriel, ce qui ajoute aux risques
de privatisation sous quelque forme que ce soit. »
Tandis que, de son côté, lEurope est à laffût
des affaires quelle pourrait réaliser (les plus grandes
entreprises de lindustrie de leau sont européennes),
les Etats-Unis se disent désespérés de voir leurs
réserves sépuiser et se projettent dans un avenir
de stérilité et de sécheresse. Aux termes dun
rapport très complet rédigé par le professeur argentin
Elsa Bruzzone, et selon ce qui se dégage des travaux effectués
par les Canadiens Barlow et Clark (auteurs du désormais célèbre
ouvrage La poursuite de lor bleu, 40% des cours deau
et des lacs des Etats-Unis sont pollués, tout comme des aquifères
tels que lOgallala, qui sétend sur huit Etats du
Dakota du Sud au Texas. La surexploitation de leau et lutilisation
de produits toxiques dans lagriculture achèvent de tuer
cette ressource. Le partage de cours deau avec le Canada au nord
et avec le Mexique au sud, et lexistence de législations
interprétées à travers le filtre dintérêts
propres, sont en train dinduire des conflits qui se durcissent
dune année à lautre.
Sans loi, pas de défense possible. Dans le document intitulé
Santa Fe IV, produit en 2000 par un groupe influent du Parti républicain
sur la fin du gouvernement Clinton, étaient présentés
les principaux éléments géostratégiques
qui continueraient de jouer un rôle important pour la sécurité
nationale des Etats-Unis. Lun deux était la nécessité
de garantir « que les pays de lhémisphère
ne soient pas hostiles à nos préoccupations concernant
la sécurité nationale ».
Dans le rapport des anciens conseillers de Reagan et de Bush père,
un autre point, étroitement lié au premier, explique pourquoi
il est primordial que les pays où se trouve le Guaraní
promulguent des lois qui protègent laquifère en
tant que patrimoine de ces pays. Il est dit dans ce document que les
Etats-Unis doivent sassurer « de la disponibilité
des ressources naturelles de lhémisphère pour répondre
à nos priorités nationales ».
La visite récente du chef du Pentagone, Donald Rumsfeld, au Paraguay
et son ardeur à obtenir des Etats de la région limmunité
pour ses propres soldats ont fait réapparaître le spectre
dune expropriation. Au nord, daucuns pensent que ce qui
intéresse vraiment Washington, ce nest pas laquifère
mais la concentration possible dactivités terroristes dans
la zone de la dénommée Triple Frontière où,
curieusement, est situé le Guaraní, qui fournit de leau
à quelque 500 villes.
Chacun sait que le gouvernement républicain est obsédé
par le terrorisme. Il lest moins, en revanche, par lavenir
et lenvironnement, domaines dans lesquels, dune manière
générale, il renâcle à collaborer. Or on
ne peut rester indifférent à certaines nécessités
impérieuses. En février 2004, quelquun a transmis
au quotidien britannique The Guardian un rapport secret dans
lequel le conseiller du Pentagone, Andrew Marshall, avertissait le président
Bush des effets préjudiciables du réchauffement planétaire
à court terme, dont le manque deau potable. Il y était
également recommandé aux Etats-Unis de prendre les mesures
voulues pour pouvoir sapproprier cette ressource stratégique,
là où elle se trouvait et quand cela serait nécessaire.
A bon entendeur...
Traduction
Dial.
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