Le
Traité de commerce entre les peuples (TCP), proposé
par le président de Bolivie Evo Morales, est une réponse
au modèle néolibéral fondé sur la déréglementation,
la privatisation et louverture inconsidérée des
marchés. Il sagit dun modèle dintégration
basé sur la coopération, la solidarité et une
volonté commune pour avancer vers un réel développement.
Le TCP veut sauvegarder lindépendance et la souveraineté
des pays. Il prend ainsi le contre-pied des traités de libre-échange
(TLC) que les Etats-Unis signent avec différents pays dAmérique
latine. Le TCP est présenté par Evo Morales comme une
proposition complémentaire de lALBA (Alternative bolivarienne
pour notre Amérique) mise en avant par le président
du Venezuela Hugo Chávez et dont lun des objectifs est
déliminer lALCA (ou ZLEA, Zone de libre-échange
des Amériques) mise en avant par le président G. W Bush
pour lensemble du continent. Un accord concernant à la
fois lALBA et le TCP a été signé à
La Havane par les présidents Evo Morales, Hugo Chávez
et Fidel Castro, le 29 avril 2006.
Larticle ci-dessous a été publié par la
revue Gloobal le 16 avril 2006, sous la responsabilité conjointe
de la Campaña Continental de Lucha contra el ALCA et la Comunidad
Web de Movimientos Sociales.
Il nest plus acceptable quun petit groupe de nations puissantes
nie aux pays pauvres le droit délaborer leurs propres
modèles de développement en fonction de leurs besoins
internes, et essaie de dicter une politique économique «
mondiale » qui ne règlera pas nos problèmes de
développement, comme le soulignent les rapports mêmes
de la Banque mondiale.
Dans les années 90, on nous a dit quavec les politiques
dites du « Consensus de Washington » [synthèse
des thèses néolibérales], les pays pauvres
se rapprocheraient des pays riches. Or on voit aujourdhui quil
sest produit exactement le contraire : les riches sont plus
riches et les pauvres plus pauvres. Pour cette raison, les peuples
dAmérique latine ont commencé à prendre
leur destin en main et ils sanctionnent par les urnes les artisans
des politiques de capitulation menées pendant presque vingt
ans.
TLC : la mort des
campagnes
Pour les pays signataires du Traité de libre commerce (TLC)
avec les Etats-Unis, la réalité apparaît bien
éloignée des chants des sirènes des économistes
néolibéraux. Le Mexique est le pays qui se prête
le mieux à une évaluation des effets du « libre-échange
» puisquil a signé en 1994 lAccord de libre-échange
des Amériques (ALENA) avec les Etats-Unis et le Canada.
Si lALENA a entraîné une augmentation des exportations,
les études montrent quil a également eu pour conséquence
déliminer une grande partie de la petite et moyenne industrie,
elle qui créait de vrais emplois ; il a démantelé
les chaînes de production existantes sans en créer de
nouvelles et renforcé la dénationalisation du secteur
exportateur de la grande industrie.
Mais cest peut-être dans les campagnes que cette politique
de « libéralisation du commerce » produit
les résultats les plus néfastes. Certains auteurs évoquent
purement et simplement la
« destruction de la campagne mexicaine ». Autrefois
autosuffisant et exportateur daliments de base, le Mexique importe
aujourdhui 40% des céréales et oléagineux
quil consomme : entre 1994 et 2000, ses importations de riz
ont augmenté de 242%, celles de maïs de 112%, celles de
blé de 84%, celles de soja de 75%, celles de sorgo de 48% et,
concernant le bétail, les importations de viande de buf
se sont accrues de 247%. En conséquence, les huit dernières
années ont vu disparaître 1 million 800 000 emplois agricoles
et lexode rural exploser, non seulement les flux saisonniers
à destination des zones irriguées, mais aussi les migrations
vers les villes et, surtout, vers les Etats-Unis. La masse de cet
exode est évaluée à cinq millions de Mexicains,
mais le problème a été « résolu
» par les Etats-Unis avec la construction dun mur le long
de la frontière.
Un article de presse sonnait récemment lalarme : «
Dans leur grande majorité, les milliers de producteurs doutent
de pouvoir rester à la campagne. Les gagnants de lopération
sont moins de mille, contre des millions de perdants. »
Prenons simplement un exemple : les Etats-Unis ont approuvé
en mai 2002 la Loi sur la sécurité alimentaire et linvestissement
rural 2002-2011, qui se traduit par une augmentation de presque 80%
des aides directes à lagriculture, avec une enveloppe
qui dépasse 180 milliards de dollars sur dix ans.
Quest-ce
que le TCP et à quoi vise-t-il ?
A la différence de lécole de pensée capitaliste,
le TCP introduit dans le débat sur lintégration
commerciale les principes de complémentarité, de coopération,
de solidarité, de réciprocité, de prospérité
et de respect de la souveraineté des pays. En ce sens, il incorpore
des objectifs absents des programmes dintégration commerciale
proposés par le Nord, comme la réduction effective de
la pauvreté, la préservation des communautés
indigènes et le respect de la nature.
Aux termes du TCP, le commerce et linvestissement ne sont pas
des fins en soi mais des outils de développement ; il na
donc pas pour objectif la libéralisation absolue des marchés
et lallégement des Etats mais la défense de lintérêt
des peuples, cest-à-dire le renforcement des petits producteurs,
des micro-entreprises, coopératives et initiatives communautaires,
de manière à faciliter léchange de marchandises
avec les marchés étrangers.
Le TCP na pas été pensé pour un petit groupe
dexportateurs mais il se veut un maillon dun nouveau modèle
économique destiné à améliorer les conditions
de vie des Boliviens (revenus, santé, éducation, eau,
culture) et à promouvoir un développement durable, équitable,
égalitaire et démocratique qui permette la participation
consciente des citoyens aux décisions collectives. Alors que
les accords de libre-échange se négocient dans le secret,
le TCP est indissociable de la participation et de la consultation
actives de nos mouvements sociaux au sein desquels, grâce à
notre instrument politique, la Bolivie a commencé à
être gouvernée pour les Boliviens. Le TCP a pour but
de reconstruire lEtat, et non de le détruire.
Lintégration économique défendue par les
pays riches privilégie la « liberté de marché
» par opposition aux fonctions de réglementation des
Etats, et nie aux nations les plus faibles le droit de protéger
leurs secteurs productifs. Les accords de libre-échange constituent
une entrave qui nous empêchera de sortir du néolibéralisme
et de prendre des mesures souveraines telles que la nationalisation
des hydrocarbures. Une des clauses de lALCA (Accord de libre-échange
des Amériques) et des accords de libre-échange dit que
le règlement des différends entre les Etats et les entreprises
sera confié à des tribunaux darbitrage par-dessus
les Etats nationaux.
Dans le souci de lintérêt national, le projet de
TCP propose un modèle dintégration commerciale
entre les peuples qui limite et réglemente les droits des investisseurs
étrangers et des transnationales en fonction du rythme de développement
de notre production nationale. « Associés mais pas
propriétaires », telle est la devise du président
Evo Morales. Cest pourquoi ce projet vise en partie à
favoriser des accords entre des entreprises publiques des différents
pays dans le but de leur consolidation mutuelle.
Le TCP ninterdit pas demployer des mécanismes de
développement de lindustrialisation, pas plus quil
nempêche de protéger les segments du marché
intérieur nécessaires à la préservation
des secteurs les plus vulnérables. Si les accords de libre-échange
doivent entraîner la mort des campagnes sous la pression des
produits subventionnés venus du Nord, le TCP favorisera la
défense des économies rurales et la souveraineté
alimentaire de nos pays. Le TCP reconnaît aux peuples le droit
de définir leurs propres politiques agricoles et alimentaires,
de protéger et réglementer leur production agricole
nationale pour éviter que leur marché intérieur
soit inondé par des excédents dautres pays, et
de privilégier le bien collectif au détriment des droits
de lagro-industrie par le contrôle de loffre et
la régulation des importations.
Parallèlement, selon le TCP, les services essentiels relèvent
dentreprises publiques en leur qualité de fournisseurs
exclusifs régis par les Etats. La négociation de tout
accord dintégration doit tenir compte du fait que, dans
leur majorité, les services de base sont des biens publics
qui ne peuvent être mis sur le marché. Pour cette raison,
lors du IVe Forum de leau qui sest tenu au Mexique, la
délégation bolivienne a défendu laccès
à leau en tant que droit fondamental et non en tant que
question purement commerciale.
Le TCP inscrit le développement dans une perspective indigène.
Les traités commerciaux conçus dans le Nord facilitent
le développement et lexpansion à léchelle
mondiale dun système capitaliste fondé sur lexploitation
illimitée des ressources naturelles et humaines motivée
par lappât permanent du gain et laccumulation de
richesses individuelles, vision qui débouche inévitablement
sur la dégradation de lenvironnement. Les actions de
pollution et de prédation menées aux seules fins de
lobtention de bénéfices mettent en péril
la vie des groupes humains les plus en contact avec la nature, cest-à-dire
les communautés indigènes.
Les accords de libre-échange induisent la fragmentation puis
la disparition des communautés indigènes non seulement
parce quils contribuent à la destruction de leur habitat
mais aussi parce quils les poussent à une concurrence
acharnée et dans des conditions égales avec les grandes
entreprises du Nord.
Le TCP remet en question le bien-fondé de la théorie
de la « croissance économique » et de la culture
du gaspillage à la mode occidentale, à laune desquelles
le niveau de développement économique dune nation
est mesuré par rapport à la capacité de consommation
de ses habitants. Cest pourquoi il propose une autre logique
pour les relations entre les êtres humains, à savoir
une forme de cohabitation distincte qui ne sappuie pas sur la
concurrence et laccumulation de biens au prix dune exploitation
et dun épuisement de la main-duvre et des
richesses naturelles. Le TCP reprend les fondements de la culture
indigène et pose les principes suivants : complémentarité
et non-concurrence ; harmonie avec la nature par opposition à
lexploitation irraisonnée des ressources ; défense
de la propriété collective contre la privatisation extrême
; encouragement de la diversité culturelle face à la
monoculture et à luniformisation du marché qui
contribuent à lhomogénéisation des modes
de consommation.
Le TCP défend
la production nationale
Selon la logique néolibérale, le plus important réside
dans la réduction des dépenses de lEtat par la
libre concurrence des fournisseurs de biens et services. Or ce raisonnement
ne résiste aucunement face aux répercussions qua
sur la production nationale la libéralisation des marchés
publics au profit dentreprises étrangères, et
il ne tient pas compte des effets multiplicateurs de lapport
de ressources dans léconomie dun pays. Vouloir
réduire les dépenses budgétaires pour économiser
quelques millions ne justifie pas que lon se prive dun
mécanisme de développement de léconomie
nationale amplement exploité par les pays industrialisés.
Par conséquent, aux termes du TCP, les pays qui participent
à un processus dintégration solidaire sont invités
à donner la priorité aux entreprises nationales en en
faisant les fournisseurs exclusifs des organismes publics. Il ne faut
pas oublier que, un peu partout dans le monde, et malgré leur
quasi-démantèlement au cours des dernières années,
les Etats nationaux constituent les principaux acheteurs de biens
et services. Indépendamment des accords, la proposition bolivienne
établit des listes de fournisseurs prioritaires, notamment
de groupes ethniques, de coopératives et dentreprises
communautaires, pour éviter une concurrence ruineuse et insoutenable
avec les puissantes transnationales.
Avec son projet de Traité de commerce entre les peuples (TCP),
la Bolivie se propose dinstaurer une véritable intégration
qui transcende les sphères du commerce et de léconomie
; elle se donne pour principe daboutir à un développement
endogène juste et durable sur la base de règles communautaires,
en prenant en considération les disparités existant
entre les pays sur les plans de la population, de la superficie, de
la production, de laccès à linfrastructure
et aux ressources, et de lhistoire, dans lesprit des deux
propositions dintégration les plus élaborées
à cet égard que sont lAlliance sociale continentale
(ASC) et lAlternative bolivarienne pour les Amériques,
plus connue sous le sigle ALBA.
Les dix principes
du TCP
1 - Le Traité de commerce entre les peuples (TCP), proposé
par le président Evo Morales, est une réponse au délitement
du modèle néolibéral fondé sur la déréglementation,
la privatisation et louverture inconsidérée des
marchés.
2 - Aux termes du TCP, le commerce et linvestissement ne sont
pas des fins en soi mais des outils de développement ; il na
donc pas pour objectif la libéralisation absolue des marchés
et laffaiblissement des Etats mais la défense de lintérêt
des peuples.
3 - Le TCP propose un modèle dintégration commerciale
entre les peuples qui limite et réglemente les droits des investisseurs
étrangers et des transnationales en fonction du rythme de développement
de notre production nationale.
4 - Le TCP ninterdit pas demployer des mécanismes
de développement de lindustrialisation, pas plus quil
nempêche de protéger les segments du marché
intérieur nécessaires à la préservation
des secteurs les plus vulnérables.
5 - Le TCP reconnaît aux peuples le droit de définir
leurs propres politiques agricoles et alimentaires, de protéger
et réglementer leur production agricole et animale nationale
pour éviter que leur marché intérieur soit inondé
par des excédents dautres pays.
6 - Selon le TCP, les services essentiels relèvent dentreprises
publiques en leur qualité de fournisseurs exclusifs régis
par les Etats. La négociation de tout accord dintégration
doit tenir compte du fait que, dans leur majorité, les services
de base sont des biens publics qui ne peuvent être mis sur le
marché.
7 - Le TCP pose les principes suivants : complémentarité
et non concurrence ; harmonie avec la nature par opposition à
lexploitation irraisonnée des ressources ; défense
de la propriété collective contre la privatisation extrême.
8 - Aux termes du TCP, les pays qui participent à un processus
dintégration solidaire sont invités à donner
la priorité aux entreprises nationales en en faisant les fournisseurs
exclusifs des organismes publics.
9 - Avec son projet de Traité de commerce entre les peuples
(TCP), la Bolivie se propose dinstaurer une véritable
intégration qui transcende les sphères du commerce et
de léconomie ; elle se donne pour principe daboutir
à un développement endogène juste et durable
sur la base de règles communautaires, en prenant en considération
les disparités existant entre les pays.
10 - Le TCP propose une autre logique pour les relations entre les
êtres humains, à savoir une forme de cohabitation distincte
qui ne sappuie pas sur la concurrence et laccumulation
de biens au prix dune exploitation et dun épuisement
de la main-duvre et des richesses naturelles.