DIAL D 2036 du 1-15 décembre 1995
Mots-clés : Lutte pour la terre, propritété de la terre, paysans, massacre, violence.
CORUMBIARA : SYMBOLE DE LA MORT ET D'ESPOIR

Plusieurs centaines de familles paysannes étaient violemment expulsées et plusieurs personnes tuées par la police du Commando d’opérations spéciales le 9 août 1995 sur le domaine de Santa Elina : une partie de ce terrain, propriété d’un latifundiaire de São Paulo, était occupée par ces paysans sans terre. L’événement a fait grand bruit au Brésil, où il a par ailleurs contribué à relancer la question de la réforme agraire
DIAL a publié deux témoignages sur le drame de Santa Elina (cf. DIAL D 2006), dont celui de Mgr Geraldo Verdier, évêque du diocèse de Guajará-Mirim dans l’État de Rondônia.
Dans un témoignage du 15 septembre 1995, Mgr Geraldo Verdier faisait de nouveau part d’une visite qu’il avait rendue à ces familles et le 6 novembre 1995 il publiait un autre communiqué. Ces deux textes sont publiés ci-dessous.

“J’ai vu la misère de mon peuple... j’ai entendu la clameur que lui arrachent ses oppresseurs...et c’est pourquoi j’ai décidé de le libérer.” (Ex 3, 7-8)
J’ai vu à Corumbiara le désespoir des familles qui n’ont pu enterrer leurs morts, abattus dans le dos. Je suis allé rendre visite aux nombreux blessés internés à l’hôpital de Colorado do Oeste, où j’ai vu le “corps du délit” dans les dizaines de squatters maltraités et torturés.
Je suis allé au campement de la fazenda Santa Elina, détruit et brûlé, véritable champ de bataille en ruine.
J’arrive directement du nouveau campement de Colorado do Oeste (à 60 km de Corumbiara) où 600 familles, encore sous le choc, vivent dans une sécurité toute relative et dans un confort encore plus relatif, dans des baraques en toile, sur un terrain où les enfants jouent dans la poussière, dans un décor de fumée qui leur pique les yeux, sous un soleil torride en attente des prochaines pluies, qui rendront le scénario bien pire avec la boue collante, le bourbier, les moustiques, la malaria et autres endémies.
Personne ne supporte longtemps une telle situation (et ces campements restent là des mois et des mois) si ce n’est par le vif espoir d’un futur meilleur. Ce grand espoir, il animait le coeur de 1 600 personnes qui occupèrent un beau jour le coin le plus perdu de la fazenda Santa Elina. Là-bas la terre était fertile, des arbres touffus protégeaient les tentes du soleil brûlant. Un ruisseau d’eau limpide rendait la vie moins dure.
A l’aube du 9 août dernier, cette terre promise est devenue un enfer : des bombes, des tirs, des cris de haine, d’agonie et de douleur ont mis fin à cette lueur d’espoir qui les animait. Cette terre de 18 000 hectares a un propriétaire. La loi avait été violée. L’ordre devait être rétabli. Et il le fut ! Aujourd’hui nous déplorons 12 morts dans des conditions horribles parmi lesquels une fillette de 7 ans, Vanessa, et un jeune homme de 24 ans, Sergio, sur qui s’est abattue toute la violence d’une troupe sans contrôle.
La paix est revenue : la paix des cimetières. Le ruisseau transformé en rivière de sang, court à nouveau limpide. Le propriétaire de Santa Elina ordonna immédiatement que l’on coupe tous les arbres magnifiques, rendant le terrain méconnaissable. Il érigea également une clôture pour en empêcher l’entrée.
Ainsi l’ordre règne de nouveau. L’ordre de l’injustice sociale institutionnalisée. Car ceci constitue le problème fondamental. Ce pays est vraiment béni de Dieu. Il a tout pour rendre ses enfants heureux. Mais tant que le droit à la propriété ne sera pas réglementé, tant qu’il n’y aura pas une réforme agraire suivie d’une nouvelle politique agraire, de nouveaux drames surgiront.
En quittant les “campeurs”, je leur ai promis de tout faire pour que le nom de Corumbiara ne soit pas synonyme de Carandira ou de Candelária1. Le gigantesque mouvement de solidarité que le massacre de Santa Elina a soulevé doit faire de Corumbiara un nouveau symbole d’espoir.
Espoir d’une justice qui saura trouver les coupables et les punir. Car ce serait une immense frustration si nous ne découvrions pas les coupables parmi les policiers du commando d’opérations spéciales et si ces coupables n’étaient pas punis.
Espoir que plus jamais des conflits de ce type ne soient résolus avec la même arrogance et la même violence que celle de Corumbiara.
Espoir que bientôt cessent les occupations de terrains parce que la réforme agraire et la nouvelle politique agricole ne seront plus une utopie, mais une réalité.
Je termine en faisant mienne la prophétie d’Isaïe, que j’applique à notre cher Brésil :
“Je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle et on ne se souviendra plus du passé, qui ne remontera plus au coeur ... Je serai joyeux de mon peuple. On n’y entendra plus désormais le bruit des larmes et le son des cris ... Ils bâtiront des maisons qu’il habiteront, ils planteront des vignes dont ils mangeront les fruits ..., dit le Seigneur.”(Is 65, 17-21)

1 - La nuit du 22 juillet 1993, huit enfants des rues étaient abattus par un commando d’hommes armés devant l’église de Candelária à Rio de Janeiro.A la suite de protestations nationales et internationales, trois membres de la police ont été inculpés. Le principal témoin de ce massacre a d’ailleurs été séquestré, battu et menacé de mort. Les responsables ne sont pas encore traduits en justice.(NdT)

Découverte pour une enquête sur les événements de Corumbiara


Après le massacre de Corumbiara, je me suis rendu au campement brûlé. Lorsque je passais à travers les décombres, un habitant m’a appelé. Il avait découvert des cendres bizarres. Au milieu des cendres se trouvaient quelques os que j’ai recueillis et mis dans trois sacs plastiques.
J’ai amené au gouverneur Valdir Raupp, de passage à Vilhena, les trois sacs qui contenaient ces ossements. Toutefois, au préalable, j’ai enlevé des sacs devant témoins neuf morceaux des os.
Le gouverneur a envoyé la partie des os reçus à Unicamp (Campinas-SP) qui a donné son avis : il s’agissait d’os de bovins et porcins. Pour ma part, j’ai confié les ossements que j’avais gardés à Jacques Bourgeois, président de notre Association missionnaire à Paris, qui se trouvait de passage à Guajará-Mirim. M. Bourgeois, à son tour, les a fait parvenir à la Faculté de médecine de Paris-ouest (Service d’anatomie et de cytologie pathologique, médecine légale), où le professeur et docteur Michel Durigon, spécialiste et chef du service, les a analysés.
Le résultat de cette analyse à Paris diffère un peu de celui de Campinas : sur les neuf morceaux d’os reçus, ils ont trouvé deux os d’origine humaine et trois qui ne permettent pas une conclusion définitive, mais dont il est probable qu’il s’agisse d’os humains. Évidemment un tel résultat est d’une énorme importance, car il prouve qu’il y a eu crémation de corps dans le même endroit où eut lieu le massacre.
Comme le nombre de disparus est de sept personnes (dont une femme), l’examen fait à Paris, conduit à penser que ces deux os pourraient appartenir à l’un des sept disparus.
Nous avons envoyé à son excellence Monsieur le procureur de la République de l’État de Rondônia, Pedro Taques, les dites analyses, afin qu’il prenne les mesures nécessaires.

Le 6 novembre 1995
D. Geraldo VERDIER
Evêque de Guajará-Mirim (RO)

 


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