Dial informe régulièrement
ses lecteurs sur limpunité dont jouissent de grands propriétaires
ruraux pour des assassinats de petits paysans. Le syndicaliste João
Canuto, ancien maire de Rio Maria, est une des victimes dont nous avons
souvent parlé. Le meurtre a eu lieu dans lÉtat du
Pará le 18 décembre 1985. Le jugement vient seulement
davoir lieu, mais les deux commanditaires reconnus coupables ont
été laissés en liberté... Nous publions
à ce sujet trois communiqués provenant du Frère
Henri Burin des Roziers pour la Commission pastorale de la terre et
de Luzia Canuto de Oliveira Pereira pour le Comité Rio Maria,
qui donnent les éléments essentiels de cette histoire
de linjustice.
Un procès trop longtemps attendu
João Canuto de Oliveira, père de 6 enfants dâge
mineur, membre des Communautés ecclésiales de base, militant
du Parti communiste du Brésil, a été le premier
président du syndicat des paysans de Rio Maria. Il a été
assassiné de 18 coups de feu par deux tueurs à gage quand
il revenait du syndicat, le 18 décembre 1985. Son assassinat
a été articulé par un groupe de grands propriétaires
ruraux de la région parmi lesquels les accusés Adilson
Carvalho Laranjeira, ex-maire de Rio Maria, et Vantuir Gonçalvez
de Paula, lesquels vont être jugés à Belém,
les 22 et 23 mai prochains [voir les communiqués suivants publiés
ci-dessous].
Lenquête de la police a duré huit ans (86-93), le
ministère public a mis trois ans pour demander quils soient
poursuivis en justice (93-95) et le juge na commencé à
instruire le procès quen 1997, lorsque la Commission interaméricaine
de droits de lhomme de lOrganisation des états américains
(OEA) a menacé de condamner le gouvernement brésilien
pour lexcessive lenteur de lenquête et de la marche
du procès, condamnation qui, de fait, a eu lieu en 1999. La décision
du jugement par le Tribunal de jury na été prise
que le 17 mai 2001 et la désignation de la juridiction compétente,
la capitale Belém, le 25 février 2002.
Tout ceci a été possible grâce à la pression
de la société civile, nationale et internationale, articulée
par le Comité Rio Maria dont Luzia Canuto, fille de João
Canuto, est la présidente. Le Comité a surmonté,
tout au long de ces 18 ans, en dépit des menaces et des persécutions,
les nombreux obstacles mis pour entraver la marche du procès.
Cela a été possible grâce également au courage
de nombreux témoins, à la compétence et au dévouement
des avocats du Réseau dappui de São Paulo, Brasília,
Belém et sud du Pará et aussi grâce au travail de
quelques procureurs et juges réellement au service de la justice.
Il est important de rappeler lhistoire de la famille Canuto. En
avril 1990 trois fils de João Canuto ont été séquestrés
: José et Paulo ont été tués. Orlando, grièvement
blessé, a réussi à séchapper ; par
la suite Orlando a été président du syndicat, en
2000 il a été élu conseiller municipal de Rio Maria
et en 2002 président du Conseil municipal. Le successeur de João
Canuto comme président du syndicat, Expedito Ribeiro de Souza,
a été assassiné le 2 février 1991 et le
successeur dExpedito, Carlos Cabral Pereira, gendre de João
Canuto, blessé le mois suivant. Le directeur du syndicat, Braz
de Oliveira, a aussi été assassiné en 1990.
Dans le sud du Pará, de 1980 jusquà aujourdhui,
ont été assassinés plus de 400 travailleurs ruraux
par ordre des propriétaires ruraux en raison de conflits de terre.
Mais un seul propriétaire rural, Jerônimo Alves de Amorim,
a été jugé et condamné, le 06 juin 2000,
à dix neuf ans et demie de prison comme commanditaire de lassassinat
du syndicaliste Expedito Ribeiro de Souza, et malgré cela il
accomplit sa peine en traitement domiciliaire, pour raison de santé,
dans sa luxueuse résidence, avec tous les privilèges possibles.
Dans le cas du massacre dEldorado do Carajás, le 17 avril
96, au cours duquel ont été assassinés 19 paysans
sans terre et blessés 64, seulement 2 officiers, sur les 154
policiers militaires accusés, ont été condamnés
lors du dernier jury de 2001 et malgré cela ils continuent en
liberté [ cf. DIAL D
2072, D 2088, 2165, 2316
] !
Tout ceci montre clairement limportance de ce nouveau jugement.
(...)
Xinguara, 8 avril 2003
Une victoire...partiale
Les deux commanditaires de lassassinat
de João Canuto de Oliveira, ancien maire de Rio Maria, Adilson
Laranjeira, et le propriétaire terrien Vantuir de Paula, ont
été condamnés par unanimité par le Tribunal
de jury populaire de Belèm, le 23 mai 2003, à 19 ans et
10 mois de réclusion. Mais ils sont sortis libres, avec le droit
de recourir en liberté contre la décision ! La salle du
jury était comble lorsque le juge Roberto Moura, président
du Conseil de sentence, formé de 7 jurés, a proclamé
la décision. Ce fut une explosion de joie ! La foule, à
lintérieur du tribunal comme à lextérieur,
criait, pleurait, chantait, dansait, embrassant Madame Géraldina,
veuve de João Canuto, et ses enfants. Il y avait là 500
paysans et représentants des organisations populaires du sud
de lÉtat du Pará et dautres régions,
campant depuis deux jours devant le Palais de justice. Étaient
présents également les autorités fédérales
: secrétaire des droits de lhomme du gouvernement fédéral,
procureur fédéral des droits du citoyen, président
de la chambre des députés, parlementaires de lÉtat
et fédéraux ; artistes de renommée nationale de
lorganisation « Droits humains » ; observateurs internationaux
dAmnesty International, de la Fédération internationale
des droits de lhomme, de lOrdre des avocats des Hauts de
Seine, de la Fédération internationale des Chrétiens
contre la torture; président national de la Commission pastorale
de la terre; supérieurs des Dominicains et Dominicaines du Brésil.
CEST UNE VICTOIRE ! MAIS CEST UNE VICTOIRE LIMITÉE,
INCOMPLÈTE, PRÉOCCUPANTE, DANGEREUSE !
Les deux criminels condamnés sont sortis libres et resteront
en liberté jusquà ce que leur recours contre la
décision de condamnation soit jugé. Cela peut durer des
années et les condamnés et leurs comparses ne vont pas
rester inactifs. (...)
Xinguara, 26 mai 2003
Une victoire préoccupante
Le Comité Rio Maria et la Commission pastorale de la terre du
sud du Pará manifestent leur préoccupation à propos
de la décision du juge Roberto Moura président du jury
qui a condamné à Belém le 23 mai 2003, les deux
commanditaires de lassassinat de João Canuto, de les laisser
en liberté jusquà ce que leur recours contre cette
décision soit jugé. Cette préoccupation est partagée
par la famille de João Canuto, par les milliers de personnes,
de représentants dorganisations des droits humains, dorganisations
sociales, principalement rurales qui ont accompagné directement
ou indirectement ce jugement.
Bien quils aient été condamnés à lunanimité
à 19 ans et 10 mois de réclusion, lancien maire
de Rio Maria, Adilson Laranjeira et le propriétaire terrien Vantuir
de Paula, sont sortis libres du Palais de justice et resteront probablement
libres de nombreuses années ! Le juge a fondé sa décision
sur le fait que les deux condamnés étaient délinquants
primaires. Mais il aurait pu décréter la prison immédiate
car la condamnation, à lunanimité, avait été
accompagnée de circonstances aggravantes et les témoins
ainsi que dautres personnes courent de toute évidence des
risques de menaces et de mort. Lun des témoins a dailleurs
été menacé par un parent dun condamné
à la sortie du tribunal. Malheureusement le juge Roberto na
pas décrété la prison immédiate.
Ce recours ou ces recours peuvent durer des années avant dêtre
jugés. Les deux officiers de la PM, condamnés en mai 2002
à Belèm à respectivement 255 et 144 années
de prison pour lassassinat de 19 paysans sans terre à Eldorado
do Carajás, dans le même État du Pará, restent
en liberté par décision du même juge Roberto Moura.
Après plus dun an, le premier recours de ces officiers
devant le Tribunal de justice du Pará nest toujours pas
jugé. Lavocat des deux condamnés de lassassinat
de João Canuto a déjà déclaré à
la presse que les recours quil allait faire allaient durer plus
de cinq ans, avant dêtre jugés !
Pendant tout ce temps il est évident que les deux condamnés
et leurs complices, puissants et violents, ne vont pas rester inactifs.
Ils vont tenter de faire taire dune manière ou dune
autre la voix de ceux qui luttèrent et continuent à lutter
pour la justice dans la région et pour que ce jugement et cette
condamnation se réalise : témoins, membres de la famille
Canuto, du Comité Rio Maria, de la Commission pastorale de la
terre, du Syndicat des travailleurs ruraux. Pendant tout ce temps ils
prépareront leur fuite pour le cas où la décision
serait confirmée. Il est significatif de rappeler que des cinq
condamnés ou emprisonnés pour les assassinats des syndicalistes
de Rio Maria, quatre ont déjà réussi à senfuir
: le sergent de la PM Edson Matos, Ubiratan Ubirajará, José
Serafim Sales et le fazendeiro Jerônimo Alves de Amorim, lequel
a par la suite été repris.
Cest pourquoi il est fondamental que les organisations nationales
et internationales fassent pression de toute urgence sur les autorités
judiciaires comme également le gouvernement fédéral
pour que toutes les mesures possibles soient prises pour que le recours
des condamnés soit jugé de toute urgence. Si les condamnés
ne sont pas emprisonnés rapidement, ce jugement et cette condamnation
seront une farce, une impunité camouflée qui déconsidérera
encore plus la justice du Pará aux yeux du peuple.
La lutte continue ! Manifestez votre préoccupation à la
présidente du Tribunal de justice du Pará, au ministre
de la justice, au secrétaire des droits humains du gouvernement.
Exigez que soient jugés de toute urgence les recours contre la
décision de condamnation, au nom de la vie de tous ceux qui luttent
dans cette région pour que justice soit faite dans le cas João
Canuto et de tant dautres à Rio Maria et dans le sud du
Pará.
Xinguara, 2 juin 2003
Frère Henri Burin des Roziers
Commission pastorale de la terre
Luzia Canuto de Oliveira Pereira
Comité Rio Maria
Traduction DIAL.
En cas de reproduction, mentionner la source DIAL.
Au terme de ces informations, le
Comité Rio Maria suggère la lettre de soutien ci-dessous
à envoyer aux adresses suivantes :
Exma Sra.
Des. Maria de Nazareth Brabo de Souza
Presidente do Tribunal de Justiça do Pará
Cidade Velha
Largo de São João, s/n
66015-260 Belém PA
Fax: 091 218 2454
E-mail: mbrabo@tje.pa.gov.br
Exmo. Sr.
Ministro Márcio Tomás Bastos
Ministério da Justiça
Esplanada dos Ministérios
Bloco T Ed. Sede 4º Andar
70064-900 Brasília DF
Fax: 061 322-6817
E-mail: gabinete@mj.gov.br
Exmo. Sr.
Ministro Márcio Tomás Bastos
Ministério da Justiça
Esplanada dos Ministérios
Bloco T Ed. Sede 4º Andar
70064-900 Brasília DF
Fax: 061 322-6817
E-mail: gabinete@mj.gov.br
Monsieur, Madame,
Nous avons accompagné avec beaucoup dattention le jugement
dAdilson Laranjeira, ancien maire de Rio Maria et du propriétaire
terrien Vantuir de Paula, condamnés à lunanimité
par le Tribunal de Jury Populaire de Belèm, le 23 juin 2003,
à 19 ans et 10 mois de réclusion, comme commanditaires
de lassassinat de João Canuto de Oliveira, avec le
droit de recourir en liberté.
Nous déplorons que le juge qui a présidé le
jury nait pas décrété la prison immédiate.
Nous tenons à manifester notre grande préoccupation
au sujet du temps que durera ce recours ! Nous avons connaissance
que le premier recours des deux officiers de la PM condamnés
pour le massacre des 19 paysans sans terre dEldorado de Carajás,
après plus dun an na pas encore été
jugé et que ces officiers continuent à vivre en liberté.
Durant tout le temps des recours, les témoins, les membres
de la famille Canuto, du Comité Rio Maria, de la Commission
Pastorale de la Terre de la région, du Syndicat des Travailleurs
Ruraux qui ont lutté tant dannées pour que ce
jugement et cette condamnation se réalisent, vont courir
de sérieux risques dêtre persécutés
et menacés, en raison de cette persistante impunité.
Cest pourquoi nous demandons que toutes les mesures possibles
soient prises de toute urgence pour que les recours des condamnés
soient jugés le plus rapidement possible. Nous demandons
également que toutes les mesures soient prises pour que les
condamnés ne puissent profiter de ce temps pour senfuir,
comme cela est arrivé pratiquement avec tous les condamnés
pour les assassinats des syndicalistes de Rio Maria.
Respectueusement |