Après avoir donné limpression dun certain
essouflement, voire dune crise annonciatrice dune fin prochaine,
le mouvement zapatiste a refait publiquement surface en juillet et août
2003, manifestant une fois de plus sa capacité dinnovation
dans la fidélité à ses objectifs. Des communautés
autonomes ont vu le jour, avec des règles de gouvernement conformes
aux traditions indigènes, sans ignorer pour autant des exigences
liées à la situation particulière du Chiapas. Lautonomie
se met donc en place, sans séparatisme par rapport à lÉtat
fédéral et avec une forte pratique de solidarité
entre les communautéss. Ainsi sont nés cinq caracoles,
nom donné à ces communes autonomes, gérées
par des conseil de bon gouvernement. Cest lensemble
de cette intéressante et prometteuse évolution que nous
présente larticle de Jorge Alonso, paru dans Envío
, novembre 2003.
Près de la moitié de l'État
du Chiapas est organisé par le zapatisme en cinq communautés
dites « caracoles » (escargots) avec, à leur tête,
« un conseil de bon gouvernement » Il s'agit d'une initiative
intéressante et originale. Les conseils se sont installés
en août à Oventic, localité à l'entrée
de laquelle les visiteurs peuvent lire le message de bienvenue suivant
: « Ici commande le peuple et le gouvernement obéit.
»
Alors que l'on croyait le zapatisme à bout de souffle, le mouvement
s'est manifesté en juillet et août 2003, pour annoncer
des initiatives qu'il nourrissait depuis neuf mois. À ce moment
là, les zapatistes reconnurent que leur mouvement ne faisait
que des mécontents. Quand on espérait d'eux qu'ils parlent,
ils se taisaient ; lorsqu'on souhaitait leur silence, ils parlaient
; quand on voulait qu'ils dirigent, ils se mettaient en retrait ; lorsqu'on
voulait les reléguer à l'arrière, ils empruntaient
une autre voie. Ils irritaient y compris leurs sympathisants. Pourtant,
les zapatistes eux-mêmes étaient les premiers à
se moquer de leur excentricité : ils ne triomphaient pas, mais
ils n'étaient pas non plus à l'article de la mort. En
réapparaissant, ils ont indiqué clairement qu'ils refusaient
le martyre comme la soumission. Loin de se soumettre, ils s'obstinaient
à vivre.
Le moment choisi par les zapatistes pour reprendre la parole était
marqué par une tension extrême. Devant le regain de faveur
dont ils avaient bénéficié aux élections
nationales et locales, les partisans du PRI [Parti révolutionnaire
institutionnel, au pouvoir de 1929 à 2000, date de lélection
du président Vicente Fox] s'étaient enhardis, les
groupes paramilitaires retrouvaient de leur vigueur et de leur agressivité,
et les communautés du Chiapas dénonçaient un climat
semblable à celui qui avait précédé le massacre
d'Acteal [cf. DIAL D 2195].
Une avalanche de communiqués du commandant Marcos
Trente communes du Chiapas sous le contrôle de l'Armée
zapatiste de libération nationale (EZLN) depuis 1994 et qui s'étaient
proclamées « autonomes » demandèrent au sous-commandant
Marcos de se faire temporairement leur porte-parole, à la suite
de quoi, entre la fin juillet et le début août 2003, Marcos
publia dix communiqués, une déclaration et un message
enregistré pour expliquer, d'une part, ce que serait l'organisation
de ces communes et, d'autre part, les rapports qu'elles auraient avec
la société civile nationale et internationale.
Marcos confirma sa décision de n'avoir aucun contact avec le
gouvernement mexicain ni avec les partis politiques. Il jeta le discrédit
sur la campagne électorale récente, en soulignant que
le peuple avait répondu par un énorme abstentionnisme
; il accusa la classe politique dans laquelle il rangeait tous
les partis et l'ensemble des pouvoirs exécutif, législatif
et judiciaire d'avoir mis fin aux espoirs de millions de Mexicains
et de milliers de personnes d'autres pays, qui demandaient que l'on
reconnaisse les droits et la culture des peuples indiens du Mexique
; et il affirma que les zapatistes continueraient d'utiliser la résistance
comme moyen de lutte. Le fil conducteur de tous ses messages étaient
le suivant : les zapatistes appliqueraient unilatéralement les
Accords de San Andrés [Accords signés le 16 février
1996 entre lEZLN et le gouvernement fédéral, que
celui-ci na jamais voulu appliquer ; voir le texte de ses Accords
dans DIAL
D 2074, 2076, 2080, 2081, 2082] dans les zones du Chiapas sous leur
contrôle.
Origine des Aguascalientes
Le premier changement annoncé par les zapatistes fut la disparition
des Aguascalientes. Dans un de ses messages, Marcos rappela l'origine
de ce lieu.
Les premiers communiqués zapatistes coïncidèrent
avec le retour de l'ex-président Salinas de Gortari sur la scène
politique mexicaine. Les zapatistes se rappelèrent le parcours
de ce personnage président grâce à une fraude
électorale sans précédent , dont l'une des
réformes impopulaires consista à priver les paysans de
leur droit à la terre. Le modèle imposé par Salinas
ruina des millions de Mexicains. Face à la politique néolibérale
appliquée par son gouvernement, qui équivalait à
une guerre d'extermination, à un ethnocide, l'EZLN prit les armes
dans le but d'attirer l'attention de la communauté internationale.
Tout en sachant qu'ils n'avaient aucune chance sur le plan militaire,
les zapatistes ne songeaient pas à devenir des martyrs, mais
à vivre. Bientôt, la société civile somma
les zapatistes de suivre une autre voie, de lutter par la parole et
non par les armes. Avec ce nouvel outil, la parole maîtrisée,
ils avaient besoin d'un espace où apprendre à écouter
et à communiquer avec cette entité qu'ils appelèrent
la société civile pour la distinguer du monde politique.
C'est ainsi qu'ils décidèrent de construire dans le Chiapas,
à Guadalupe Tepeyac, un emplacement auquel ils donnèrent
le nom d'Aguascalientes, et qu'ils remirent à la société
civile le 8 août 1994.
L'année suivante, le président Zedillo détruisit
Aguascalientes et installa une caserne à sa place. Les zapatistes
construisirent alors cinq Aguascalientes dans cinq autres communes (Oventic,
La Realidad, La Guarucha, Morella et Roberto Barrios), toujours pour
en faire des espaces de dialogue entre la population et la société
civile et internationale. Ces lieux de rencontre et porteurs d'initiatives
firent des petits à Mexico et à Madrid.
Fin des Aguascalientes : ni pitié, ni aumônes
Les zapatistes annoncèrent que, désormais, les Aguascalientes
avaient rempli leur mission. Et qu'ils avaient mis à jour des
problèmes auxquels il convenait de remédier. Comme les
communiqués des zapatistes arrivaient au compte-gouttes, l'annonce
de la fin des Aguascalientes déconcerta initialement plusieurs
observateurs, qui craignirent que le mouvement s'isole un peu plus.
Un des problèmes posés par le rapport qu'entretenaient
les zapatistes avec la société civile tenait au fait que
l'on manquait parfois de respect à leur égard. Il ne s'agissait
pas d'insultes, mais d'attitudes désobligeantes (pitié,
aumônes, etc.), comme en témoignaient des exemples très
concrets : les populations recevaient des ordinateurs hors d'usage,
des médicaments périmés, des vêtements excentriques,
des chaussures dépareillées
Certaines ONG et organisations
internationales élaboraient des projets de développement,
avec des objectifs et des délais qu'elles imposaient aux populations
sans les avoir consultées. En quoi ces projets se différenciaient-ils
des aides que le gouvernement offrait à ces communautés
en échange de leur soumission ?
Les zapatistes soulignaient que, face aux ingérences du gouvernement,
ils avaient poursuivi leur résistance, en faisant de la pauvreté
une leçon de dignité, et non un appel à la pitié.
Leur mouvement, disaient-ils, était opposé au paternalisme
et à l'assistanat, d'où qu'ils viennent et, avec les communes
autonomes, ils avaient prouvé qu'ils étaient capables
de se gouverner. Avec la disparition des Aguascalientes, ils voulaient
mettre fin au régime d'aumône et au paternalisme. Marcos
reconnaissait toutefois dans ses communiqués que, pour forger
l'autonomie indigène, les zapatistes n'avaient pas été
seuls et remerciaient pour le soutien fourni par la société
civile.
Changement de vie dans les communes autonomes
Les zapatistes proposaient de remplacer les Aguascalientes par les dénommés
caracoles, du nom du centre du territoire géographique que régiraient
cinq Conseils de bon gouvernement dans les communes autonomes. Les nombreux
communiqués de Marcos ne manquèrent pas d'expliquer en
quoi consisteraient les caracoles, projet qui a valeur d'enseignement
du zapatisme à la société civile.
Devant le refus de l'État mexicain de reconnaître pleinement
les droits des indigènes et d'inscrire les Accords de San Andrés
dans la loi, les zapatistes annonçaient qu'ils veilleraient à
ce que ces accords deviennent réalité dans la vie quotidienne.
De fait, de la même manière, ils avaient consolidé
lentement leurs communes autonomes.
Depuis 1994, ces communes sont gérées démocratiquement
par les populations elles-mêmes. Quiconque ne remplit pas bien
ses fonctions est remplacé. Il s'agit d'un travail non rémunéré,
effectué au profit de la collectivité et par roulement,
selon une vieille tradition des communautés, à laquelle
le zapatisme a ajouté de nouveaux éléments, en
insistant sur le principe du « commander en obéissant ».
Dans les communes autonomes sont privilégiées les activités
qui touchent à la santé et à l'éducation,
en dépit d'un état de pauvreté extrême. Des
cliniques se sont construites avec le soutien de la société
civile et les zapatistes mettent l'accent sur la formation d'agents
de santé pour mener des campagnes d'hygiène et de prévention.
On a également bâti des écoles, au sein desquelles
des éducateurs et leurs campagnes d'alphabétisation jouent
un rôle capital. Le contenu de l'enseignement donné dans
les écoles zapatistes est approuvé par les conseils autonomes.
Les zapatistes sont fiers de voir que les filles depuis toujours
coupées du système scolaire fréquentent
aujourd'hui les écoles.
Les conseils à la tête des communautés, expliquaient
également les zapatistes dans leur message, s'occupent aussi
de tout ce qui concerne la terre, le travail, le commerce, le logement,
l'alimentation, le transport, la culture, l'information et l'administration
de la justice. Une grande réussite du régime d'autonomie
a trait à la dignité de la femme : la lutte contre l'habitude
consistant à « vendre » les femmes, qui jusqu'à
présent n'étaient pas libres de choisir leur mari, va
de l'avant. Et il existe désormais une loi progressiste pour
les femmes, même si elle n'est pas toujours appliquée.
Le zapatisme a réussi à inscrire ces pratiques collectives
dans une autre instance, régionale, qui regroupe un ensemble
de communautés au sein des communes autonomes. A ce niveau, chaque
communauté a son responsable. Le tout est chapeauté par
une autre instance qui intègre groupes et régions. L'EZLN
intervient dans ces instances. Marcos reconnaissait dans ses messages
que la démocratie directe communautaire y avait un côté
militaire. Du niveau local au niveau régional, l'autogestion
s'exerçait à l'ombre de la structure militaire de l'EZLN,
même si les responsables de cette dernière n'intervenaient
pas dans l'élection ni le renouvellement des autorités
et, pour pouvoir occuper une charge, ils devaient renoncer à
tout poste au sein de l'EZLN.
Durant des années, ces communes autonomes ont entretenu des liens
avec les communautés zapatistes, les communautés non zapatistes
du Chiapas, et la société civile, tant nationale qu'internationale.
Inégalité entre les communes
Après plusieurs années de fonctionnement sous cette forme,
les zapatistes firent un bilan des résultats obtenus par ces
communes et mirent au jour un grave problème : du fait de la
disparité des rapports avec la société civile nationale
et internationale, certaines communes possédaient plus de ressources
que d'autres, ce qui avait entraîné une inégalité
de développement entre les communes autonomes ainsi qu'entre
les communautés et les familles, les principales bénéficiaires
étant celles qui abritaient les Aguascalientes et auxquelles
on accédait le plus facilement par les moyens de transport. Il
en était résulté des tensions et des déséquilibres
internes, et il était nécessaire de faire contrepoids
à ces inégalités. Comme dans toute société
humaine, il se produisait également des problèmes à
l'intérieur des communautés zapatistes, problèmes
dont la solution incombait aux autorités autonomes. Toutefois,
les conflits, tensions et affrontements les plus graves avaient eu lieu
avec les communautés non zapatistes. Certaines se plaignaient
de ce que les autorités ne respectaient pas les droits des non-zapatistes,
autre défaut auquel devait remédier la nouvelle organisation
que les zapatistes se proposaient de créer.
Cinq caracoles, cinq désignations
Les zapatistes attribuèrent aux caracoles diverses fonctions
dont celle, au premier chef, d'être comme une porte d'entrée
dans les communautés et une ouverture sur l'extérieur.
Etre « comme une bouche qui porte la parole au loin et écouter
la parole qui vient de loin ». Un nom a été
donné démocratiquement à chacune de ces cinq communautés
: pour celle de La Realidad, Mère des caracoles de l'océan
de nos rêves, pour celle de Morelia, Tourbillon de
nos paroles, pour celle de La Garucha, Résistance
pour une aube nouvelle, pour celle de Roberto Barrios, Le
caracol qui parle pour tous et pour celle d'Oventic, Résistance
et rébellion au service de l'humanité.
Conseils de bon gouvernement
Chaque Caracol a été doté d'un conseil de bon gouvernement,
premier organe officiel d'administration des communes autonomes. Un
bâtiment a été construit pour chaque conseil afin
qu'il puisse fonctionner. Les conseils reçurent pour principale
consigne celle de « commander en obéissant ».
On les chargea de régler les problèmes de la communauté
et d'être un pont entre elle et le monde extérieur. On
leur confia la charge de parer aux différences de développement
observées entre les communes autonomes et les communautés,
et d'intervenir dans les conflits qui surgiraient tant entre les communes
autonomes qu'entre ces dernières et les communes officielles.
Ils avaient aussi pour fonction de prêter soigneusement attention
aux plaintes émises contre les conseils autonomes pour cause
d'infraction aux droits humains, en étudiant les cas, en faisant
des enquêtes et en trouvant une façon appropriée
de répondre aux plaintes et de rectifier les anomalies.
Les conseils de bon gouvernement sont chargés de ce qui suit
: veiller à la réalisation des projets et tâches
communautaires dans les communes autonomes ; développer le soutien
aux projets communautaires ; s'assurer de l'application des lois zapatistes
; seconder et guider la société civile au cours des visites
dans les zones rebelles ; encourager les projets productifs ; installer
des camps de la paix ; effectuer des enquêtes dans l'intérêt
des communautés. Il leur appartient en outre de promouvoir et
approuver d'un commun accord avec le Comité clandestin
révolutionnaire indigène Commandement général
EZLN (CCRI-CG) la participation de membres des communes autonomes
à des activités en dehors des communautés rebelles.
Les zapatistes décidèrent de placer les conseils sous
la coupe du CCRI-CG de l'EZLN pour surveiller leur fonctionnement et
éviter les actes de corruption ou d'intolérance, les comportements
arbitraires, les injustices et les dérives à l'égard
du principe « commander en obéissant ».
A l'instar des caracoles, les cinq conseils de bon gouvernement furent
baptisés d'un nom choisi par les conseils autonomes : Vers
l'espoir, Cur de l'arc-en-ciel de l'espoir,
Chemin du futur, Semence nouvelle qui va germer
et Cur central des zapatistes devant le monde.
Un « impôt fraternel » de 10%
Les conseils commencèrent par lancer trois trains de dispositions.
Premièrement : les dons et soutiens de la société
civile ne pourront être destinés à une personne
en particulier ni à une communauté ou une commune déterminée.
Le conseil de chaque Caracol verra, après une évaluation,
à qui les dons doivent aller et où sera réalisé
le projet correspondant. Il sera prélevé sur chaque projet
un « impôt fraternel » de 10 % destiné aux
communautés ne bénéficiant d'aucun soutien. Il
a été décidé de refuser les aumônes,
les surplus ainsi que les projets imposés.
Deuxième train de dispositions. Sont reconnues en tant qu'entités
zapatistes collectives et individuelles uniquement celles
qui se font immatriculer comme telles auprès des conseils, pour
éviter tout risque de supercherie. De même, les excédents
ou le produit de la commercialisation de produits des coopératives
et sociétés zapatistes seront remis aux conseils pour
soutenir les communautés qui ne pourraient commercialiser leurs
produits ou qui ne recevraient aucune aide.
Troisième train de dispositions. Il comprend tout ce qui se rapporte
à l'identification des zapatistes à l'extérieur,
et vise à empêcher que des gens malhonnêtes se fassent
passer pour des zapatistes dans l'intention d'abuser la société
civile nationale et internationale. Il a été dit clairement
qu'il n'existait à Mexico aucun centre d'entraînement des
zapatistes.
Les conseils furent chargés d'octroyer des accréditations,
qu'il était recommandé de vérifier. Il était
entendu que les conseils de gouvernement pourraient prêter main
forte à des communautés non zapatistes, mais sans leur
imposer quoi que ce soit.
Partage du Mexique en trois, selon le Plan Puebla Panama
Parallèlement à cette initiative intéressante,
les zapatistes annoncèrent lélimination des postes
de contrôle de l'EZLN, la disparition du prélèvement
d'un impôt sur les routes du territoire rebelle et le maintien
de la fouille uniquement pour les véhicules suspects de transporter
du bois, de la drogue ou des armes.
Outre cette réorganisation interne en profondeur pleine de promesses,
l'EZLN proposa cinq plans au niveau national et international. Pour
les zapatistes, il n'y avait pas lieu de craindre une fragmentation
du pays une fois qu'ils auraient acquis leur autonomie, et personne
n'était animé d'un sentiment séparatiste ; la seule
chose qu'ils réclamaient, c'était le droit de se gouverner
par eux-mêmes. Ils se disaient fiers de leur identité mexicaine,
tout en exigeant que l'on reconnaisse et que l'on respecte également
leur identité indigène.
Conscients de la fragmentation actuelle du pays, ils dénoncent
que le grand projet séparatiste est le Plan Puebla Panama (PPP),
qui partagerait le Mexique en trois. S'agissant du nord du pays, le
PPP le place dans une logique productive et commerciale en l'intégrant
aux États-Unis et en en faisant une grande maquila [filiale
de multinationales installées dans des zones franches]. Le
centre du Mexique est réduit à un centre commercial où
s'approvisionnent les consommateurs. Et le sud-est est assimilé
à une grande propriété, une réserve de chasse
pour les puissants de la planète, un territoire de conquêtes
de ressources naturelles. Selon les zapatistes, les détenteurs
du capital national ont peur des organisations sociales, alors que ce
sont les banquiers étrangers qui les dépouillent de tout
et les soumettent à un capitalisme sauvage.
Convaincus de ce que la mondialisation du capital vise à la destruction
de l'État national, les zapatistes constatent des résistances
fortes et d'envergure face aux desseins des puissants et des chemins
de rébellion sur tout le territoire mexicain. Le durcissement
des mouvements sociaux leur font prédire des problèmes
pour le PPP et ils répètent quon nacceptera
pas le PPP sur les terres zapatistes.
Cinq plans pour les cinq caracoles
Les zapatistes lancèrent également un plan pour chacun
des cinq caracoles. Le premier plan, dénommé Plan de la
réalité Tijuana (Reali-Ti) consiste à réunir
toutes les résistances qui s'affirment au Mexique pour reconstruire
la nation mexicaine « depuis la base ». Un des grands
principes du zapatisme étant de bâtir un monde ouvert à
tous, il s'y est ajouté quatre autres plans à portée
planétaire. Le deuxième plan est dénommé
Morelia-pôle Nord. Les Caraïbes, l'Amérique centrale
et l'Amérique du Sud font l'objet du troisième plan baptisé
La Garucha-Terre de Feu. À l'Europe et à l'Afrique correspond
le quatrième plan, appelé Plan Oventic-Moscou. Le cinquième
plan, dénommé Roberto Barrios-Nouvelle Delhi, est destiné
à l'Asie et l'Océanie. Pour tous ces plans, un même
axe : la lutte pour l'humanité et contre le néolibéralisme.
Des milliers de personnes réunies en France pour préparer
ce qui allait se révéler, à Cancún, un dérapage
de l'OMC saluèrent l'avènement des caracoles zapatistes.
« Les armées ne sont pas faites pour gouverner »
L'inauguration des caracoles eut lieu le 10 août à Oventic.
La fête était ouverte à tous, mais les zapatistes
avaient averti qu'ils n'inviteraient pas la classe politique et qu'ils
ne rencontreraient aucun de ses représentants. Dix mille personnes
zapatistes de base, organisations indigènes de divers
États, organisations paysannes, membres de syndicats et militants
provenant de divers pays participèrent aux célébrations.
Les dirigeants zapatistes y prirent la parole. Le sous-commandant Marcos
n'était pas présent. Selon la rumeur, il souffrait de
troubles intestinaux. Certains observateurs ont trouvé que cette
absence avait gâché la rencontre alors que, pour d'autres,
elle montrait bien qui était véritablement aux commandes.
Par la voie d'un enregistrement, le commandant Marcos s'est félicité
de la naissance des conseils, en prédisant que leur exemple serait
imité dans tout le Mexique et dans le monde. Puisqu'il avait
rempli la tâche que les communes autonomes lui avaient temporairement
confiée celle d'être leur porte-parole par le biais
de communiqués , il leur rendait lécoute,
la voix et le regard. Désormais, tout ce qui se rapporterait
aux communes autonomes était du ressort de leurs autorités
et des conseils de bon gouvernement.
Marcos apporta des éclaircissements très importants sur
l'organisation en territoire rebelle. L'EZLN ne devait pas être
le porte-parole des gens aux commandes même dans le respect
des règles d'obéissance , parce que le zapatisme
se voulait la voix des gens d'en bas, des administrés. L'EZLN
avait pour mission de défendre les communes et les conseils.
Il a ajouté que, en territoire zapatiste, sur les terres des
communes autonomes et des conseils, les autorités ne pourraient
recourir aux milices de l'EZLN pour gouverner. Elles doivent gouverner
par la raison et non la force. Pour Marcos, le rôle des armées
est de défendre, et non de gouverner. Et c'est ce que ferait
l'EZLN : défendre les communautés contre les agressions
d'un mauvais gouvernement, des paramilitaires et de tous ceux qui leur
voulaient du mal.
Des réactions positives
Le gouvernement mexicain a été dans l'impossibilité
de réagir immédiatement à la relance du mouvement
zapatiste, qui réaffirmait sa rupture avec lui et avec la totalité
de la classe politique. Dans un premier temps, le ministre de l'intérieur
indiqua que le gouvernement ne pouvait donner son aval aux caracoles.
Par la suite, il nuança son discours, en déclarant que
le gouvernement respecterait les actions que l'EZLN mènerait
dans le respect de la Constitution et dans un souci de dialogue. Mais
le lancement des caracoles obligea les hauts fonctionnaires à
revoir la situation. Puis les caracoles furent reconnus par les hautes
autorités, au motif qu'ils étaient constitutionnels parce
que constituant des formes d'organisation interne. Le gouvernement fédéral
se réjouit de ce que le zapatisme s'affirme comme un mouvement
civique et non militaire. Le coordonnateur des pourparlers de paix en
suspens vit d'un il positif le fait que se développent
de nouvelles formes d'organisation politique. La directrice de la nouvelle
Commission nationale pour le développement des peuples indigènes,
Xóchitl Gálvez, reconnut que la seule façon de
renouer le dialogue résidait dans une nouvelle réforme
constitutionnelle parce que le texte promulgué ne satisfaisait
pas les communautés indigènes ni l'EZLN. Pour répondre
aux interprétations qui tendaient à s'imposer au sein
du gouvernement, elle a insisté sur le fait que les conseils
n'étaient pas un État dans l'État, et elle s'est
réjouie de ce que les communautés tentent l'expérience
de l'autonomie.
« Une initiative de grande envergure
»
Selon les propos du représentant du gouvernement du Chiapas chargé
de la réconciliation des communautés en conflit, l'initiative
zapatiste témoignait des efforts menés par les communautés
pour trouver de nouvelles solutions à leurs difficultés.
D'autre part, selon le gouverneur de l'Etat, le désir d'améliorer
l'existence des indigènes de la forêt et des hauts plateaux
du Chiapas, qui abritent les communes autonomes, n'allait pas à
l'encontre de la loi, et les nouvelles actions de l'EZLN reflétaient
la volonté de substituer la politique à la guerre.
L'initiative zapatiste ne trouva pas un écho aussi favorable
dans toute la classe politique du pays. Les législateurs locaux
du PRI et les membres du PAN [Parti daction nationale, qui
est le parti du président Vicente Fox] au Chiapas annoncèrent
qu'ils rejetaient les conseils. Ils furent rejoints en cela par bon
nombre de législateurs fédéraux membres de ces
deux partis, qui prétendaient que les conseils constituaient
une violation de l'Etat de droit. Certains PRI virent dans les conseils
une réponse à la détérioration de la gestion
du PAN et au renforcement de l'influence du PRI au sein du groupe. Premièrement,
le porte-parole du PAN somma le gouvernement de ne pas tolérer
des activités illégales qui risquaient d'être très
préjudiciables pour la structure institutionnelle du Mexique,
en plus de taxer Marcos d'être « un cacique post-moderne
» lorsque le ministère de l'intérieur réaffirma
sa position en déclarant que les conseils ne contrevenaient pas
à la Constitution.
Pour le tout nouveau député du PRD (Parti de la révolution
démocratique), Manuel Camacho qui fut le premier interlocuteur
entre le gouvernement et le zapatisme en 1994 , Marcos s'était
repositionné en lançant une initiative de grande envergure.
Selon le dirigeant du PRD Cuauhtémoc Cárdenas, la création
des conseils représentait un important pas en avant, en offrant
des outils de travail aux communautés et communes de la zone
rebelle.
Les évêques mexicains, pris entre leurs liens avec le pouvoir
et avec les mouvements populaires, précisèrent également
leurs positions. Pour le secrétaire de la Commission épiscopale
de pastorale indigène de la Conférence épiscopale
mexicaine, les conseils étaient synonymes de « ségrégation
». Le cardinal de Mexico émit le vu que la réapparition
des zapatistes ne soit pas une fois de plus une opération médiatique,
comme cela avait été le cas lors de la visite de Mme Mitterrand
et des activistes italiens. Quant à lui, l'évêque
de San Cristóbal de las Casas applaudit à la création
des conseils, estimant que le zapatisme avait franchi une nouvelle étape
et qu'il devait être entendu de la société. Selon
lui, dans son communiqué, l'EZLN avait fait preuve d'humilité
en reconnaissant que la mise en pratique de son projet de nouvelle société
n'était pas toujours juste et équitable, qu'elle entraînait
des violations des droits humains dans certains cas, et que l'idéologie
zapatiste était parfois imposée par la force.
Une réponse et un modèle à considérer
Dans le nord du Mexique, 244 représentants d'organisations et
autorités traditionnelles indigènes des peuples Mayo,
Rarámuri et Odomi constituèrent l'Alliance des peuples
indigènes du Nord et du Nord-Ouest. Le Congrès national
indigène s'est félicité de ce que, dans les faits,
le processus d'autonomie indigène soit enclenché. Selon
l'Assemblée nationale, indigène et plurielle pour l'autonomie,
l'autonomie était la réponse du peuple à la crise
des partis, une nouvelle façon de faire de la politique, un projet
à long terme, et un modèle.
Après le retour de l'EZLN sur la scène, 75 organisations
indigènes de tout le pays se réunirent au Chiapas. Elles
prirent la défense des processus d'autonomie en cours d'expérimentation,
en expliquant que, face à la perte de crédibilité,
de légitimité et de représentativité des
partis, l'autonomie représentait lalternative. Elles donnèrent
leur accord au Plan zapatiste Reali-Ti. Le Conseil du Guerrero-500 ans
de résistance indigène décida de se pencher sur
le modèle des caracoles. Et, à Veracruz, plusieurs peuples
indigènes annoncèrent leur intention de créer des
conseils à l'image de ceux des zapatistes. Des communautés
indigènes du Michoacán déclarèrent qu'elles
créeraient 18 communes autonomes.
De nombreuses organisations paysannes virent dans les conseils de bon
gouvernement un instrument exceptionnel de démocratie populaire.
Les organisations ouvrières groupées au sein de la Convergence
syndicale et sociale (syndicats des électriciens, des téléphonistes,
de la Sécurité sociale, de la UNAM - Université
nationale autonome du Mexique) apportèrent leur appui à
l'autonomie zapatiste.
Le temps du dialogue
Le 1er septembre, lors de son discours traditionnel, le président
Fox fit une allusion aussi brève que générale aux
peuples indigènes, dans laquelle il réaffirma la position
du gouvernement, consistant à offrir de lassistanat. Pas
un mot du zapatisme. Le gouvernement Fox lance des invitations officielles
au dialogue, mais en ayant la certitude que l'EZLN n'est pas en mesure
de négocier. Il croit que le mouvement zapatiste pourrait dialoguer,
mais qu'il ne négocierait pas, car c'est la position qui lui
a rapporté le plus de dividendes politiques. D'autre part, le
gouvernement, voyant qu'il a mené beaucoup de batailles mais
remporté très peu de succès, craint d'engager de
nouveau le fer avec le zapatisme. La situation donne raison aux zapatistes
car l'accord signé avec le gouvernement à San Andrès
ne fut pas respecté pour l'essentiel lors des réformes
de 2001 et, tant que les droits et la culture indigènes ne seront
pas reconnus par la loi, il n'y a pas lieu de revenir à la table
de négociation.
Trois questions juridiques
Les analystes de cette nouvelle étape du mouvement zapatiste
se posèrent plusieurs questions juridiques. La première
concernait la légalité même des conseils de bon
gouvernement. Il apparut que les zapatistes étaient protégés
par l'article 2 de la Constitution, qui reconnaît aux peuples
indigènes le droit à la détermination et à
l'autonomie pour décider de leurs formes internes de vie commune
et d'organisation sociale, économique, politique et culturelle,
et qu'ils sont habilités à employer leurs propres systèmes
normatifs pour la gestion et le règlement de leurs conflits internes.
Plus qu'aux zapatistes, c'est au gouvernement que cette base juridique
apportait une solution, en lui évitant de subir la pression de
son aile conservatrice, favorable à une répression du
mouvement zapatiste. Ceci dit, il est clair que l'autonomie revendiquée
par les zapatistes déborde largement du cadre fixé par
la loi.
Une autre question juridique était posée par l'annonce
du prélèvement d'impôts par les conseils. Les zapatistes
se sortirent de cette difficulté en précisant qu'il s'agissait
de contributions volontaires. Autre problème : les conseils semblaient
se superposer aux communes, en constituant un quatrième niveau
de pouvoir, alors que seuls trois pouvoirs sont reconnus par la loi
: le pouvoir fédéral, l'Etat et le pouvoir municipal.
Plusieurs commentateurs montrèrent que l'expérience des
conseils, plus qu'une menace pour l'ordre établi, représentait
de nouvelles possibilités de régler les conflits sans
oublier que, tout au long de l'histoire, on a pu voir que c'est toujours
la réalité en marche qui fait évoluer le droit.
Il convenait de se dire que la création de conseils constituait
un défi, mais aussi l'occasion d'améliorer la Constitution.
Des experts en droit indigène rappelèrent que la Convention
169 de l'Organisation internationale du travail faisait partie de la
Loi suprême de la nation et que les conseils trouvaient en elle
une parfaite justification de leur existence. Ils soulignèrent
en outre le fait que, selon la Convention de Vienne, les Etats ne peuvent
invoquer leur législation interne pour justifier le non-respect
des traités signés.
Commerce et cohabitation
Une autre inquiétude venait des limites attribuées à
certaines des nouvelles mesures. Comme elles ne sont pas autarciques
et qu'elles ne peuvent l'être, les communautés zapatistes
doivent tenir compte du marché. Imposer aux coopératives
qui font le commerce du café et de l'artisanat le versement de
contributions de solidarité pourrait les défavoriser face
à la concurrence. Et le souci d'éviter des inégalités
entre les communautés pourrait conduire à une centralisation
bureaucratique contrôlée par l'appareil militaire.
Une autre préoccupation avait trait à la cohabitation
des populations. Au Chiapas, le PRI fait preuve d'une opposition particulièrement
agressive contre les zapatistes et certaines communautés apparaissent
extrêmement polarisées. L'existence de plusieurs groupes
dotés de leurs propres autorités donnait déjà
lieu à des frictions et la reconstruction du tissu social s'est
effectuée lentement. Le dialogue s'impose, mais le plus important
est d'instaurer une volonté de négociation au cur
même des communautés.
Les réussites du zapatisme
Les succès remportés par le zapatisme effacent toutes
les inquiétudes. La solution de l'autonomie qu'il incarne constitue
le plus important des apports que le monde lui doit. Les Indiens du
Mexique ont pu survivre tout en conservant une autonomie qui n'était
pas reconnue en droit. Aujourd'hui, sans avoir à s'appuyer sur
des textes révolutionnaires classiques, ils représentent
la synthèse originale de traditions indigènes et de démarches
novatrices. Ils ne revendiquent pas le pouvoir de l'Etat mais la construction
d'un pouvoir populaire qui s'exerce à la base. Ils ne se targuent
pas d'avant-gardisme, mais leur influence dans le pays et dans le monde
s'est renouvelée durant les dix années au cours desquelles
il leur a fallu s'imposer sur la scène publique.
En franchissant ce nouveau pas, les zapatistes réaffirment la
vocation pacifiste que la société leur a imposée
il y a dix ans. C'est la voie qu'ils n'ont cessé de suivre :
ils privilégient l'intérêt communautaire aux dépens
de l'action militaire. S'ils ont déposé les armes, ils
ne les oublient pas pour autant, en les réservant à la
défense. Ils ne souhaitent pas militariser leur culture. Par
ces nouvelles mesures, ils donnent la priorité à la réconciliation
avec leurs opposants. Et ils exigent toujours le respect.
Deux piliers, deux buts
L'EZLN a apporté la preuve d'une grande capacité de résistance
et d'inventivité politique. Les caracoles font la jonction entre
l'organisation locale et un projet planétaire d'un nouveau type.
Ils associent la défense d'intérêts particuliers
à la défense d'intérêts universels. Les deux
piliers du zapatisme « commander en obéissant
» et créer « un monde qui abrite plusieurs mondes
» demeurent le but des mouvements populaires du Mexique
et du monde entier.
Traduction DIAL
En cas de reproduction,
mentionner la source DIAL.