AMÉRIQUE LATINE
Le bilan des améliorations
survenues dans les dix ans qui séparent le Sommet de la terre qui s'était
tenu à Rio de Janeiro en 1992 et celui de Johannesburg (Afrique du Sud)
en 2002 - appelé aussi Rio + 10 - n'est pas très encourageant.
La conscience de la fragilité de l'environnement a augmenté, des
mesures de protection ont été adoptées, et la participation
de la société civile s'est affermie. Les institutions démocratiques
de la région se sont consolidées, créant des conditions
favorables à l'investissement, au développement économique,
et, potentiellement, à la diminution de la pauvreté et du chômage.
Ces éléments pourraient permettre d'avancer sur la voie du développement
durable.
Mais la pauvreté reste très présente, touchant 44 % des
latinoaméricains selon les chiffres de la CEPAL, la région est
toujours la première au monde pour ce qui est de l'inégalité
des revenus et la détérioration de l'environnement s'est accentuée.
Les années 90, placées à leur début sous le signe
de l'optimisme - retour à la démocratie dans de nouveaux pays,
volonté de laisser derrière la « décennie perdue »
des années 80 - apparaissent désormais comme une autre étape
d'un développement qui peine à avancer.
ARGENTINE
La justice a condamné jeudi 12 septembre l'ancien dictateur Leopoldo
Galtieri ainsi que vingt autres militaires à la retraite à des
peines de prison : ils ont été reconnus coupables de l'enlèvement
suivi de tortures et de l'assassinat - au début des années 1980
- de 18 guérilleros du mouvement des Montoneros, une organisation gauchiste
se réclamant de l'ancien président Péron. Galtieri avait
été condamné à 12 ans de prison en 1985 pour avoir
dirigé l'invasion, en 1982, des Îles Malvines, occupées
par l'Angleterre depuis 1833 (Îles Falkland) et revendiquées par
l'Argentine - il avait été gracié en 1989. C'est la première
fois qu'il est condamné pour violations des droits humains.
L'échéance des élections présidentielles, qui devraient
avoir lieu le 30 mars 2003, provoque des réactions variées. D'après
une enquête réalisée par l'institut de sondage Hugo Haime
et associés, deux tiers des Argentins ne font confiance à aucun
des candidats actuels. Les organisations de la société civile
dont l'importance a augmenté avec la crise ne prétendent pas pour
autant présenter leur propre candidat. Elles continuent plutôt
à s'organiser pour accroître leur capacité à peser
sur les décisions et à faire entendre leur opinion.
Ce sont donc les politiciens traditionnels qui postulent à la présidence,
malgré le rejet dont ils sont l'objet de la part de la population et
leur manque de crédibilité. Parmi ces derniers, c'est, toujours
selon l'institut de sondage Hugo Haime, Rodríguez Saá et Elisa
Carrió qui réunissent le plus grand nombre d'intentions de vote
avec respectivement 22,7 et 17 %. Rodríguez Saá, du parti justicialiste
(péroniste), avait occupé le poste de président de la république
en décembre 2001, suite à la démission de De la Rúa,
avant de démissionner lui aussi, une semaine plus tard. Elisa Carrió
a quitté son ancien parti centriste, l'Union civique radicale, pour en
former un nouveau, qui s'est donné pour tâche d'enquêter
sur les pratiques de corruption. Les électeurs ne se font cependant pas
beaucoup d'illusions sur la capacité des candidats à les sortir
de la crise actuelle, une fois élus.
Dans ce contexte, une chaîne de télévision a mis sur pied
une émission intitulée « le candidat des argentins »,
qui sera diffusée à partir du 22 septembre. Après une phase
de sélection, les 16 candidats retenus seront invités à
présenter leurs propositions, à participer à des débats
et à différents tests imaginés par la chaîne. Les
téléspectateurs pourront ainsi choisir le candidat qui les représente
le mieux. Les responsables du programme s'engagent alors à déclarer
le gagnant à l'administration électorale, en tant que président
du nouveau parti à créer. Plus de 500 personnes se sont présentées
lors de la première convocation.
BRÉSIL
Le gouvernement fédéral a décidé de racheter une
bonne partie de la production nationale de café à un prix de 30
% supérieur au prix habituel. Il cherche ainsi à éviter
que les excédents de café, qui sont cette année une réalité
au niveau mondial (voir dossier 2580 : Guatemala : Sortir de la crise du café),
fassent baisser encore plus les prix. L'année 2003-2004 devrait, si les
prévisions se confirment, voir la tendance actuelle s'inverser : demande
supérieure à l'offre et remontée des prix. Cela permettrait
alors d'écouler avantageusement les stocks accumulés cette année.
Ces conjectures s'appuient sur l'alternance bisannuelle de bonnes et de mauvaises
récoltes, sur des prévisions météorologiques défavorables
(faibles pluies) et sur la baisse de productivité que devrait entraîner
la chute des investissements provoquée par la baisse des prix durant
ces dernières années.
Lors du Sommet mondial sur le développement durable qui s'est tenu fin
août - début septembre à Johannesburg, le Brésil
s'est fait le champion des énergies renouvelables, proposant, au nom
de l'Amérique latine et des Caraïbes, que 10 % de l'énergie
utilisée sur la planète d'ici 2010 provienne de sources renouvelables.
La proposition a divisée les participants. Les États-Unis, qui
avaient déjà refusé le Protocole de Kyoto de 1997, qui
cherchait à limiter la production des gaz à effet de serre, s'opposent
à toute proposition visant à définir des objectifs quantifiables
en matière d'énergie. Cette position est défendue aussi
par le Japon, le Canada, l'Australie et les pays de l'Organisation des pays
exportateurs de pétrole (OPEP). La Suède, l'Allemagne et la Nouvelle
Zélande - entre autres - ont, quant à eux, appuyé la proposition
brésilienne qui n'a finalement pas été retenue dans le
Plan d'action final adopté le 4 septembre.
CHILI
La fin de la présence de l'ancien dictateur Augusto Pinochet sur la scène
politique et la superposition du 11 septembre 1973 avec le 11 septembre 2001
à New York ont fait du vingt-neuvième anniversaire du coup d'État
un événement contrasté. Alors qu'avaient lieu les traditionnelles
manifestations de commémoration, les chaînes de télévision
ont consacré l'essentiel de leurs émissions aux événements
du 11 septembre 2001, qui divisent nettement moins le pays.
COLOMBIE
Les fumigations, prévues par le plan d'éradication de la coca,
ont repris avec une intensité nouvelle depuis un peu plus d'un mois,
détruisant aussi les cultures de substitution développées
suite aux accords signés avec le gouvernement Pastrana. Les fumigations,
qui visent d'abord les régions sud et sud-ouest de la Colombie, où
se concentre près de 60 % de la production de coca, font partie du plan
d'éradication totale initié le 31 juillet et poursuivi par le
nouveau président Guillermo Uribe depuis sa prise de fonction le 7 août.
Malgré les déclarations du Département d'État des
États-Unis sur le caractère non-toxique des herbicides utilisés,
les habitants des régions touchées se sont plaints d'irritations
de la peau et des yeux, ainsi que d'affections respiratoires.
L'ELN (Ejército de Liberación Nacional), seconde organisation
de guérilla par son importance - après les FARC (Fuerzas Armadas
Revolucionarias de Colombia) - a déclaré début septembre
qu'elle était prête à reprendre les négociations
avec le gouvernement d'Alvaro Uribe en vue de trouver une solution négociée
au conflit armé. Les négociations pourraient reprendre à
La Havane, avec l'aide du gouvernement cubain qui avait déjà servi
d'intermédiaire lors des négociations entre le gouvernement Pastrana
(1998-2002) et l'ELN. Mais les conditions posées par les deux parties,
si elles ne sont pas modifiées, risquent de rendre une nouvelle fois
la négociation impossible.
ÉQUATEUR
Le chancelier équatorien (responsable des Affaires étrangères)
Heinz Moeller a suggéré, lors d'un voyage en Colombie que l'Équateur
pourrait servir de médiateur dans le conflit colombien. La proposition,
dans le contexte de la campagne pour les élections présidentielles
du 20 octobre, a déclenché une forte polémique, les différents
candidats à la succession de Gustavo Noboa prenant fermement position
en faveur ou contre la proposition.
Le tribunal constitutionnel équatorien vient d'autoriser (5 septembre)
la candidature d'un leader indigène, Antonio Vargas. Une semaine avant,
le Tribunal électoral suprême avait annulé sa candidature
après avoir constaté que parmi les 81 000 signatures nécessaires
à la création d'un nouveau parti, un bon nombre était fausses
ou répétées. Entre 1996 et 2001, Antonio Vargas a été
président de la CONAIE (Confederación de Nacionalidades Indígenas),
l'organisation sociale la plus importante du pays, où 30 % de la population
est indigène. Mais suite à des accusations lui reprochant de ne
pas respecter les résolutions collectives et de passer des accords avec
le gouvernement sans demander l'avis de l'organisation, il a été
démis de ses fonctions, et ne compte donc pas sur l'appui de la CONAIE
pour les élections. Cette dernière a préféré
s'allier avec des secteurs sociaux et politiques de gauche et de centre gauche
et soutenir la candidature du colonel Lucio Gutiérrez qui avait dirigé
avec Vargas la révolte de janvier 2000 contre le président d'alors
Jamil Muhuad, au pouvoir depuis 1998 (Ce dernier avait été remplacé
par le vice-président Gustavo Noboa.) Ni l'un ni l'autre des candidats
ne sont donnés comme favoris.
HAÏTI
L'Organisation des États américains (OEA) a lié la reprise
de l'aide économique, suspendue suite aux irrégularités
des élections de 2000 et dont Haïti a le plus grand besoin, à
une série de conditions à remplir avant les élections de
2003. Elle exige notamment la poursuite judiciaire des personnes impliquées
dans des actes de violence politique, la neutralité de la police et des
garanties pour la liberté d'expression.
MEXIQUE
La Cour suprême a décidé vendredi 6 septembre de ne pas
donner suite aux poursuites engagées par plusieurs États et municipalités
ayant un large pourcentage de population indigène contre les réformes
constitutionnelles approuvées en avril par le Congrès législatif.
Ces réformes reconnaissent des droits aux ethnies indigènes mais
limitent leurs aspirations à l'autonomie complète et au contrôle
de leurs terres qui avaient pourtant été reconnues en 1996 par
le gouvernement d'Ernesto Zedillo (1994-2000), dans un accord signé avec
les zapatistes. Selon la Cour suprême, il n'est pas de son ressort de
se prononcer sur les réformes puisque celles-ci ont été
votées par le parlement dans l'exercice légitime des pouvoirs
qui lui sont conférés par la constitution. Ces réformes,
qui ont le soutien du président Vicente Fox et de la majorité
des assemblées législatives des États mexicains, restent
donc en vigueur. Plus de 100 représentants de groupes indigènes
et humanitaires et plusieurs personnalités du monde intellectuel ont
déclaré dans un communiqué que « le chemin
légal est obstrué » et que la paix avec l'EZLN
(Ejército Zapatista de Liberación Nacional) s'éloigne puisque
de manière « raciste » et « colonialiste
» la Cour suprême a fermé toutes les portes qui restaient
aux peuples indigènes pour conquérir leurs droits.
PÉROU
Mi août, les autorités suisses ont décidé de restituer
au gouvernement péruvien 77,5 millions de dollars déposés
dans des banques suisses sous le nom de Vladimir Montesinos et d'autres anciens
hauts fonctionnaires péruviens accusés de corruption et d'autres
délits graves. C'est la deuxième fois en quelques mois que le
gouvernement rend à un pays latinoaméricain des fonds indûment
perçus et déposés dans des banques de la confédération
helvétique. En juin déjà, la justice avait mis à
la disposition des tribunaux mexicains 114 millions de dollars déposés
sur des comptes au nom de Raúl Salinas de Gortari - le frère de
l'ancien président mexicain Carlos Salinas de Gortari (1988-1994), accusé
de corruption et de trafic de drogue - et de son épouse. Une enquête
est actuellement menée sur des comptes qui pourraient appartenir à
l'ancien président argentin, Carlos Menem (1989-1999) et à quelques-uns
de ses proches.
La Loi de promotion commerciale andine et d'éradication des drogues (ATPDEA),
promulguée aux États-Unis le 6 août 2002 facilite les importations
venant de Bolivie, de Colombie, de l'Équateur ou du Pérou à
condition que reprennent les opérations d'éradication radicale
de la culture des produits servant à la fabrication de drogues, comme
la marijuana ou la coca. Pour beaucoup d'agriculteurs indigènes, la coca
est leur unique source de revenus, depuis l'échec des cultures alternatives.
On s'attend donc à un renouveau de tension si, comme le craignent les
agriculteurs, le gouvernement entreprend de réactiver les actions contre
la coca.
VENEZUELA
Une commission formée de représentants de l'Organisation des États
américains (OEA), du programme des Nations-Unies pour le développement
(PNUD) et de l'organisme que préside l'ancien président des États-Unis,
Jimmy Carter, a passé la semaine du 9 au 15 septembre au Venezuela pour
dialoguer avec des dirigeants du gouvernement, de l'opposition et des organisations
de la société civile et aider à mettre en place un processus
de dialogue et de négociation entre le gouvernement et l'opposition,
ce qui ne semble pas chose facile. L'opposition veut que Chávez quitte
immédiatement le pouvoir. Le président refuse de quitter son poste
avant d'avoir fini son mandat, en 2006. Il accepte cependant de convoquer un
référendum révocatoire en août prochain, comme la
constitution approuvée en décembre 1999 le prévoit. Le
directeur du journal Tal Cual, ancien ministre de la Planification, Teodoro
Petkoff, observe que, jusqu'à maintenant, le gouvernement « a appelé
au dialogue, mais s'est refusé à dialoguer avec ses adversaires
les plus radicaux ». De son côté, l'opposition refusa d'assister
à une réunion avec Chávez convoquée par Carter lors
de sa visite en juillet. La tâche de la commission était donc loin
d'être simple.
Les événements d'avril 2002, lors de la tentative de coup d'État
qui avait renversé Chávez pour 48 heures ont fait 85 morts. Et
la Commission de la Vérité que le parlement prévoyait alors
de créer n'existe toujours pas. Les organisations de la société
civil y sont favorables, y voyant une condition nécessaire à la
reprise du dialogue, mais ni le gouvernement ni l'opposition ne s'est montré-e
très pressé-e de la mettre en place, sans doute parce qu'ils partagent
la responsabilité des morts survenues lors des troubles. Les organisations
de défense des droits humains envisagent de réaliser une enquête
indépendante et le Collège des avocats de Caracas a annoncé
mercredi 11 septembre qu'il créerait lui-même une Commission de
Vérité, appelant à un travail commun des défenseurs
des victimes d'avril.
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