AMÉRIQUE LATINE
Le rapport annuel de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique
latine et les Caraïbes), basée à Santiago, fait apparaître
une croissance économique du sous-continent de l’ordre de 5,5%
en 2004, soit nettement plus qu’en 2003 (1,9%) et 2002 (-0,5%). C’est
la plus forte croissance de la décennie, dépassant les 5,2% de
l’année 1997, avant que les effets de la « crise asiatique
» et du ralentissement de l’économie états-unienne
ne se fassent sentir. La reprise de l’économie états-unienne,
et l’expansion soutenue de l’économie chinoise ont servi
de moteurs aux économies latino-américaines qui ont pu augmenter
leurs exportations. Le Venezuela a vu son PIB (Produit intérieur brut)
croître de 18%, l’Uruguay, de 12 % et l’Argentine, de 8,2%
– ce sont les 3 taux de croissance nationaux les plus élevés.
Mais les économies latino-américaines restent fragiles, et le
taux de croissance diminuera sans doute en 2005.
MERCOSUR
L’accord de libre-échange conclu en octobre entre le Mercosur (Marché
commun du Sud – Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, avec le Chili
comme membre associé) et la CAN (Communauté andine des nations
– Bolivie, Colombie, Equateur, Pérou et Venezuela) a été
prolongé, début décembre, par la signature de l’Acte
constitutif de la Communauté des pays d’Amérique du Sud,
à Ayacucho (Pérou), puis par la IIIème Réunion des
présidents d’Amérique du Sud, à Cuzco, au sud du
Pérou (8 et 9 décembre). La Communauté de pays, qui comprend
aussi la Guyana et le Surinam, cherchera à renforcer l’intégration
du sous-continent, avec notamment la réalisation dans les 5 années
à venir de 32 projets d’infrastructures (ponts, autoroutes, lignes
de chemin de fer, ports, aéroports, télécommunications).
L’enthousiasme de Brasilia ou des partisans de l’intégration
latino-américaine contraste avec la vision négative des entrepreneurs
brésiliens, qui se sentent lésés par des accords commerciaux
souvent plus favorables aux pays plus petits. Comme le notait un éditorial
du journal conservateur brésilien O Estado de São Paulo, la Communauté
de pays d’Amérique du Sud leur apparaît pour l’instant
comme une « fiction géopolitique », sans consistance réelle.
Les participants
de la XXVIIème Réunion du Conseil du Marché commun du Sud,
qui a réuni les ministres à la mi-décembre à Belo
Horizonte, et du Sommet présidentiel, qui s’est tenu vendredi 17
à Ouro Preto, ont décidé de la création d’un
Fonds de convergence structurelle du Mercosur destiné à appuyer
des projets transnationaux ou à favoriser le développement des
régions les plus pauvres. 20 autres décisions portent notamment
sur la mise en place d’un passeport commun, d’un fonds éducatif,
de mesures communes de sécurité et coopération judiciaire.
BOLIVIE
Des organisations indigènes et de la société civile étaient
autorisées pour la première fois à présenter des
candidats lors des élections municipales du 5 décembre. 17 partis
politiques, 343 associations et 59 communautés indigènes s’étaient
inscrits et présentaient leurs candidats. Le grand perdant des élections
est le Mouvement nationaliste révolutionnaire (MNR), le parti de l’ancien
président Gonzalo Sanchez de Lozada qui a démissionné en
octobre 2003, après avoir violemment réprimé les manifestations
massives d’opposition au projet d’exportation du gaz naturel bolivien.
Le Mouvement pour le socialisme (MAS), du leader indigène des cultivateurs
de coca, Evo Morales, progresse et étend sa présence au-delà
de sa région d’origine, remportant un peu moins du tiers des voix
au niveau national. Le nouveau parti de centre-droit, Unité nationale
(UN), dirigé par le chef d’entreprise Samuel Doria Medina, progresse
aussi, bien que plus modestement. Le maire de La Paz, l’avocat Juan del
Granado, activiste des droits humains et instigateur du procès qui condamna
l’ancien dictateur militaire Luis Garcia Meza à 30 ans de prison,
a été réélu avec 45,8% des voix. Les candidats locaux,
présentés par les associations citoyennes ou les communautés
indigènes ont remporté de nombreuses mairies.
BRÉSIL
Le gouvernement brésilien a annoncé fin novembre que, conformément
à la législation brésilienne qui autorise la suspension
du monopole d’un brevet pharmaceutique en cas d’urgence sanitaire,
notamment pour lutter contre le sida, il commencerait à produire, à
partir du second semestre 2005, certains des médicaments antirétroviraux.
La décision vise à maintenir le programme de traitement gratuit
pour les malades du sida dont le coût a fortement augmenté durant
les dernières années. L’Organisation mondiale du commerce
(OMC) avait reconnu il y a quelques années la légitimité
d’une telle pratique, après une campagne menée par les pays
en voie de développement et diverses ONG (organisations non-gouvernementales).
Le gouvernement paiera les droits de propriété intellectuelle,
mais la production nationale permettra de réduire les coûts.
Un décret
du gouvernement brésilien, publié vendredi 10, fixe des délais
de 5, 10, 20 et 30 ans, reconductibles une fois, pour la déclassification
des archives de la dictature militaire (1964-1985), les délais variant
selon la nature des documents. La décision annule un décret signé
en 2002 par le président d’alors, Fernando Henrique Cardoso (1995-2003),
qui fixait à 50 ans, reconductibles de manière illimitée,
le délai de communication au public des documents touchant à la
sécurité de l’Etat. Les organisations de défense
des droits humains et les familles des victimes ont durement critiqué
la décision gouvernementale.
CHILI
Jeudi 9 décembre, plus de 31 ans après l’assassinat du chanteur-compositeur
Víctor Jara, le juge Juan Carlos Urrutia a mis en examen le lieutenant-colonel
Mario Manríquez Bravo, qui fut responsable du camp de prisonniers établi
à l’intérieur du Stade Chili, à Santiago, après
le coup d’Etat du 11 septembre 1973. En 2003, le stade a été
rebaptisé Stade Víctor Jara, en l’honneur du chanteur assassiné
le 16 septembre 1973, après avoir été sauvagement torturé.
Accusé
d’être l’auteur de 9 enlèvements et un homicide dans
le cadre du Plan Condor, un dispositif de coopération répressive
entre les différentes dictatures d’Amérique latine dans
les années 70 et 80, Augusto Pinochet a été mis en examen
lundi 13 décembre par le juge Juan Guzmán, qui a aussi ordonné
sa détention à domicile. L’avocat de la défense,
Pablo Rodríguez, a immédiatement fait appel de la décision,
arguant de la démence sénile de l’ancien dictateur. Lundi
20 décembre, la Cour d’appel ratifiait à l’unanimité
le mandat d’arrêt. La défense a alors déposé
un recours devant la Cour suprême, qui devrait statuer début janvier.
Samedi 18, juste avant que la Cour d’appel ne fasse connaître son
verdict, Augusto Pinochet avait été victime, selon le directeur
de l’hôpital militaire de Santiago, d’un « accident
cérébro-vasculaire » qui avait motivé son hospitalisation.
COLOMBIE
Des parlementaires de différents partis cherchent à promouvoir
un projet de loi de vérité, justice et réparation destiné
à réguler le processus de démobilisation des paramilitaires.
Mais, si la loi passe, elle n’entrera pas en vigueur avant 6 mois et ne
sera pas rétroactive. Dans l’intervalle, quelque 6000 paramilitaires,
la moitié des effectifs présumés, devraient être
démobilisés sans être inquiétés pour leurs
actions passées. Le gouvernement cherche à démobiliser
l’ensemble de ces troupes irrégulières d’ici à
fin 2005.
CUBA
Le ministre de l’économie et de la planification a présenté,
jeudi 23, son rapport sur la situation économique du pays durant une
session plénière de l’Assemblée nationale du pouvoir
populaire, le Parlement cubain. Fidel Castro, qui s’était fracturé
la cheville et le bras lors d’une chute le 20 octobre, arriva en marchant
à la session, pour faire montre de son rétablissement. L’économie
cubaine a crû de 5% cette année (2,6% en 2003), soit 2% de plus
que ce que prévoyait la CEPAL dans un rapport du 30 novembre qui tenait
compte des ravages occasionnés par deux cyclones et de l’intensification
de la sécheresse.
VENEZUELA
Plusieurs centaines d’intellectuels et d’artistes d’une cinquantaine
de pays se sont réunis début décembre à Caracas
pour exprimer leur soutien au président Chávez, « passer
à l’offensive contre l’impact dévastateur des actions
impérialistes » dans le monde et affronter « la pensée
unique de la globalisation néo-libérale, promue par la puissance
hégémonique » (les Etats-Unis). Etaient notamment présents
José Saramago, prix Nobel de la littérature en 1998, Adolfo Pérez
Esquivel, autre prix Nobel (de la paix), le poète nicaraguayen –
ancien prêtre et guérillero – Ernesto Cardenal, l’économiste
brésilien Theotonio dos Santos, les écrivains espagnols Alfonso
Sastre et Ramón Chau, le ministre cubain de la culture, Abel Prieto,
le chanteur-compositeur cubain Pablo Milanés, l’acteur états-unien
Danny Glover, Fidel Castro Díaz-Balart, le fils du président cubain,
Ignacio Ramonet et Bernard Cassen, du Monde Diplomatique et d’Attac, respectivement.
Une nouvelle loi régulant le contenu des émissions de radio et télévision a été votée, mardi 8 décembre, grâce aux voix des 87 députés de la majorité (sur les 165 que compte l’Assemblée nationale). La Loi de responsabilité sociale à la radio et la télévision a été promulguée le lendemain par le président, avant de partir pour Cuzco (voir brèves du Mercosur). Le texte a rencontré l’opposition des patrons de la radio et de la télévision, qui, dans leur majorité sont plus proches de l’opposition, du Syndicat des travailleurs de la presse et d’organismes internationaux comme la Société interaméricaine de la presse, l’Association interaméricaine de radiodiffusion et Human Rights Watch, un organisme de protection des droits humains basé à Washington. Destinée notamment à protéger les enfants et adolescents des images de violence et de sexe qui abondent sur les chaînes de télévision, elle interdit aussi la diffusion de messages qui « promeuvent, font l’apologie ou incitent à la guerre, au délit ou à l’altération de l’ordre public, soient discriminatoires ou promeuvent l’intolérance religieuse, soient contraires à la sécurité de la nation ». Les critiques de la loi font valoir que les atteintes à la sécurité de la nation seront fonction des critères subjectifs et partisans des fonctionnaires de la Commission nationale des télécommunications et que la loi promeut la censure et l’autocensure : les responsables des émissions préféreront s’autocensurer plutôt que de risquer d’encourir des sanctions.
Un autre
changement majeur s’est produit mercredi 15 avec l’extension du
nombre des membres du Tribunal suprême de justice, qui passe de 20 à
32. Les 17 nouveaux juges – 12 nouveaux postes et 5 postes vacants –
ont été élus par l’Assemblée nationale unicamérale,
mais avec les seuls votes de la majorité, l’opposition rejetant
la désignation. Diverses organisations de droits humains, nationales
et internationales, ont critiqué l’élection des nouveaux
juges à la majorité simple : cela laisse craindre que la justice
ne devienne partisane et que l’autonomie du pouvoir judiciaire ne soit
réduite à néant.
Rédaction : Nicolas Pinet.
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